Àl'époque où il dirigeait son pays, le dramaturge et ex-dissident tchèque Vaclav Havel avait l'habitude d'ouvrir les jardins du palais présidentiel au grand public, les jours de fête. On l'y voyait parfois, vêtu de son éternel jeans, en train de servir de la bière et des saucisses aux passants.

C'est tout un contraste avec le président nord-coréen Kim Jong-il, qui voyageait avec faste, se faisant livrer des homards vivants par hélicoptère. Et qui se décrivait comme un être quasi divin, dont la naissance a été marquée par l'apparition d'une étoile et d'un double arc-en-ciel...

Difficile d'imaginer deux politiciens plus différents l'un de l'autre que l'ont été ces deux hommes, qu'une étrange ironie du destin a fait mourir à quelques heures d'intervalle, le week-end dernier.

Longtemps pessimiste quant aux chances de voir un jour s'effondrer le régime communiste qu'il abhorrait, Vaclav Havel n'avait jamais aspiré à diriger son pays. Quand son ami et dissident polonais Adam Michnik lui avait prédit qu'il accéderait un jour à la présidence, il en avait ri, comme on rit d'une bonne blague. Relâché de prison quelques mois avant la chute du mur de Berlin, il est tombé dans la politique par accident, comme suite logique de son engagement et de son courage.

Kim Jong-il n'avait, lui, rien d'un président accidentel. Dès son plus jeune âge, son père, Kim Il-sung, l'avait préparé aux plus hautes fonctions. Il a mis une quinzaine d'années à grimper les échelons, à l'ombre de papa.

En une sorte de yin et de yang de la politique, Kim Jong-il et Vaclav Havel ont été animés tout au long de leur vie par des principes aussi diamétralement opposés que possible. Rien n'est plus précieux que la vérité, clamait Vaclav Havel, qui dénonçait l'érosion morale associée à la dictature.

Potentat aux commandes du pays le plus fermé de la planète, Kim Jong-il a nourri une propagande tissée de mensonges grossiers - et terriblement efficaces. Si bien que parmi les Nord-Coréens qui sanglotaient dans les rues de Pyongyang, hier, plusieurs lui vouaient une admiration réelle, estime Barthélémy Courmont, directeur associé de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM.

Selon ce spécialiste de la Corée du Nord, avec son appareil de désinformation, Kim Jong-il a réussi à infantiliser son peuple. Et à le persuader qu'il en était le sauveur, le protégeant contre la famine, les méchants Sud-Coréens et les États-Unis. Comme dans une célèbre scène du roman 1984, de George Orwell, les Nord-Coréens ont fini par vraiment penser que deux plus deux, ça fait cinq...

L'intelligence du coeur contre l'oppression bête et brutale. Les droits individuels contre la forme la plus extrême de collectivisme. L'ouverture au monde contre la réclusion d'un pays tellement fermé sur lui-même qu'au moment où s'amorce sa transition, les meilleurs experts ont bien de la peine à imaginer ce qui l'attend dans un proche avenir.

Selon Barthélémy Courmont, deux scénarios sont possibles. Peut-être que l'énigmatique héritier du pouvoir, Kim Jong-un, réussira à imposer son autorité à ceux qui tirent les ficelles en coulisse. Et que pour y parvenir, il fléchira les muscles et tirera quelques missiles, selon le scénario bien éprouvé par son père. Ou alors il n'y parviendra pas, et le régime nord-coréen commencera à craquer, sous la pression de luttes intestines. Mais en l'absence de la moindre information fiable, il est tout simplement impossible de faire la moindre prédiction que ce soit.

L'histoire retiendra de Vaclav Havel le rôle de premier plan qu'il a joué dans une révolution pacifique qui a permis à son pays d'accéder à la liberté, avant de se scinder en deux par un divorce à l'amiable. C'est assez rare, comme le prouvent les lendemains révolutionnaires difficiles en Égypte ou en Libye, pays qui auraient eu bien besoin de leaders de cette trempe.

Quant à Kim Jong-il, on se souviendra de lui comme d'un président qui a laissé son peuple crever de faim, tout en le berçant de mensonges.