Malgré le vernis égalitaire de nos sociétés, chacun sait qu'il existe toujours des classes privilégiées à un point de vue ou un autre. Ainsi, l'affaire Bertrand Cantat nous le rappelle: les artistes font partie d'une nomenklatura identifiable. Et ils sont souvent traités, disons... différemment du commun des mortels.

On connaît l'affaire.

Le chanteur français, qui a tué en 2003 sa conjointe, Marie Trintignant, sera acclamé sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde au printemps 2012. Il y est invité par Wajdi Mouawad, qui monte une trilogie, Des femmes - en cette circonstance, quel programme! La directrice, Lorraine Pintal, explique que Cantat a droit au pardon et à la réhabilitation.

C'est indéniable.

Seulement, dans la vraie vie, le pardon et la réhabilitation n'existent que fort peu pour les criminels anonymes.

De tous les crimes que puisse commettre un homme, aucun n'est plus réprouvé que le meurtre d'une conjointe - sur un pied d'égalité, peut-être, avec l'agression de mineurs. Pour stigmatiser ces hommes violents ou violeurs et protéger les victimes, l'État dépense chaque année des dizaines de millions de dollars. La marque est donc profonde. Comptable ou plombier, le coupable sera en général exclu à vie du cercle des humains.

Par contre, s'il est artiste...

Bien sûr, il faut faire la part de la provocation.

Les praticiens de la culture cultivée sont aujourd'hui aussi sensibles aux mérites d'un bon gros scandale MTV (c'est-à-dire: faussement audacieux, futile et sans lendemain) que le sont les artistes populaires. Il est arrivé à Mouawad lui-même de ne pas dédaigner la technique. À ce point de vue, donc, Cantat est une aubaine.

N'empêche.

Il se produit aujourd'hui autour de lui la même angélique agitation qui avait servi de bouclier humain à Roman Polanski, menacé en 2009 par la justice pour le viol d'une adolescente. (On avait même réclamé un statut d'extraterritorialité pour les festivals du film, sans doute pour que les cinéastes criminels ne soient pas dérangés par la police au moment de recevoir leurs statuettes d'or!) Le meurtre de Marie Trintignant devient dans certaines bouches «presque un accident». Et Cantat demeure «un pur, un sensible»...

Cette posture est servile, injuste et discriminatoire.

Ce qu'il faudrait maintenant au chanteur pour qu'il exerce son droit -réel- au pardon et à la réhabilitation, c'est de la discrétion, de la retenue, de la sérénité, à l'intérieur de lui-même et autour de sa personne. Or, ce qu'on lui offre sur les planches du TNM, c'est la violence des projecteurs, l'inconfort d'une polémique, la perspective d'être encore jugé.

En somme, un rôle intenable dans un nouvel épisode de la lutte des classes.