Lucian Bute est un héros au Québec. Mais on comprendra facilement qu'il est plus qu'un héros dans son pays, la Roumanie. C'est une icône, c'est une célébrité, c'est une superstar. Non seulement le président du pays, Traian Basescu, l'a reçu personnellement à la présidence mais en plus, Bute a été dernièrement nommé ambassadeur international de la Roumanie. Il est le quatrième athlète à recevoir ce titre... mais le seul qui soit encore un champion actif. Nadia Comaneci et Ilie Nastase ont également eu droit à cet honneur suprême.

Bute sue sang et eau à Miami pour se préparer pour son combat contre Brian Magee, un adversaire qu'il prend très au sérieux. Et avec raison. Mais la Roumanie a d'autres plans pour son enfant chéri: «Les gens de différents organismes liés au tourisme aimeraient présenter un combat de championnat mondial à Bucarest en juillet prochain dans le cadre d'une immense fête populaire. Des concerts avec de grandes vedettes encadreraient le combat et toute la population aurait de quoi célébrer», d'expliquer Bute avec sa délicatesse habituelle. En faisant bien attention pour ne pas engager qui que ce soit dans ce grand projet.

Évidemment, il n'est pas question d'accepter quoi que ce soit pour un combat à venir avant d'avoir vaincu Magee mais le nom de Mikkel Kessler, le tombeur d'Éric Lucas, circule déjà. Sauf que Kessler fait maintenant partie du groupe de Wilfried Sauerland, le promoteur allemand, et le clan Bute n'est pas très chaud à l'idée d'aller se faire voler un combat comme c'est arrivé à Lucas contre Markus Beyer. Cependant, celui qui voudrait voler un combat devant des dizaines de milliers de fans en Roumanie l'été prochain serait mieux d'avoir son hélicoptère près du ring.

Nouveau préparateur physique

Quand on entre dans le gymnase du campus sportif de la Florida International University, non loin de Biscayne Bay à Miami, le regard cherche ce qui est différent dans la scène.

Lucian Bute s'échine à l'entraînement avec un acharnement qui fait peur, Stéphan Larouche, son entraîneur et ami, semble toujours aussi impassible quand Bute travaille dur et le champion roumain est concentré et déterminé comme on l'a toujours connu.

On cherche des yeux le solide André Kulesza, le préparateur physique de Lucian depuis plusieurs années. Sa tête blonde de jeune sexagénaire n'est pas là. Stéphan Larouche répond vite à la question: «André Kulesza n'est plus avec nous. Ça n'a rien à voir avec sa compétence, les résultats de Lucien sont là pour en témoigner. Mais nous voulions monter d'un cran l'entraînement de Lucian. Faire un pas de plus vers l'excellence et on a pensé que l'embauche d'Alain Delorme serait positive. La décision finale est venue de Lucian», de dire Larouche.

Lucian a confirmé en reprenant son souffle. En fait, le champion est une bête de somme à l'entraînement. Je n'ai jamais vu quelqu'un travailler plus fort pour se préparer à une compétition sportive: «Le travail avec André devenait routinier, j'avais besoin d'un point de vue nouveau», dit-il.

Il va sans dire que Kulesza est blessé. Il a de la peine puisqu'il faisait partie d'une famille tissée serrée. Celle qui veille sur Lucian Bute et le prépare pour les grands combats. Et selon ce que j'ai su, il trouve qu'on a manqué de loyauté envers lui. Surtout que Bute est invaincu et que la recette fonctionnait à merveille.

On reste dans la grande tradition de Kulesza puisque Alain Delorme a profité de l'enseignement et de l'expérience de Kulesza dans sa carrière. C'est un entraîneur de grande réputation qui a travaillé avec plusieurs équipes nationales au Canada. La quarantaine, une carrure d'ancien joueur de football qu'il a été à McGill, Delorme est beaucoup plus démonstratif que Kulesza. J'ai vu les deux hommes travailler avec Lucian Bute, et Delorme fait plus motivateur, c'est certain. Et je l'ai vu pousser Bute à des extrêmes qui me semblent inhumains. Mais qui enchantent Bute.

«J'avais besoin d'un peu plus de diversité. Plus d'imagination. Qu'on me comprenne, André Kulesza est un grand entraîneur mais ce sont des étapes qui surviennent dans une carrière», de dire Bute.

Comme d'habitude, Bute se prête à des exercices qui stupéfient. Ainsi, il agrippe les deux extrémités d'un énorme câble de bateau. Et là, Delorme l'oblige à faire des vagues, des secousses ou autres patentes impossibles avec le câble. On m'a fait essayer. Ça pèse six tonnes et après trente secondes, le coeur pompe le sang jusqu'à l'extrémité du dernier cheveu transplanté. Lucien le fait de longues minutes à un rythme hallucinant.

Et quand c'est fini, il s'évertue à «crever» le plancher de béton en jetant sur le sol de toutes ses forces une boule de cuir.

Ça a duré deux heures. Après, pour soigner les fibres musculaires trop sollicitées, Bute s'est étendu dans une baignoire remplie de glace. Cinq minutes dans la glace, plongeon dans la piscine, cinq minutes de glace, plongeon dans la piscine, cinq dernières minutes dans la glace et enfin, douche chaude.

Un truc débile. Cinq minutes, pas dix secondes. Et il n'a pas 10 grammes de graisse pour se protéger du froid.

Ne vous demandez pas pourquoi ce gaillard est champion du monde.

Atteindre Magee dès le début

C'est étrange. Je craignais Edison Miranda comme la peste. Je trouvais qu'il avait tout du tueur. Je l'avais vu en action à Hollywood-Fort Lauderdale, au casino des Seminoles, et il avait été terrifiant.

Pourtant, quelques semaines avant le combat contre Miranda, Stéphan Larouche ne se cachait pas pour expliquer comment et pourquoi le combat serait expéditif et tout à l'avantage de Bute. Comme ce fut le cas d'ailleurs.

Cette fois, c'est le contraire. Larouche a les traits du visage marqués quand il parle de Magee: «Les gens se trompent. Ils pensent que Magee sera un adversaire facile pour Lucian. C'est le contraire. Brian Magee est un boxeur fatigant qui ne cesse jamais d'attaquer. Il avance et lance des coups quelle que soit la situation dans un combat. Juste à voir comment il s'est comporté contre Carl Froch. Il a fait 11 rondes sans jamais ralentir. Il n'arrête jamais», d'insister Stéphan Larouche.

J'ai regardé certains combats de Magee, et Larouche a raison. Contre Froch, il a été courageux et teigneux. C'est un gaucher et c'est un Irlandais. Autrement dit, il peut surprendre et il a du coeur comme quatre hommes.

Pour l'instant, Lucian Bute se prépare en livrant des rondes et des rondes de boxe avec des partenaires gauchers à qui on demande d'imiter le style de Magee. Mardi après-midi, après son entraînement de deux heures et demie, Bute s'est tapé 12 rondes contre les deux boxeurs embauchés pour jouer le rôle de Magee. Le lendemain, il traînait une fatigue légitime: «Ç'a été dur. J'ai fait six rondes contre le premier et ensuite six autres contre le deuxième gars. Mais les deux voulaient impressionner, ils boxaient avec le champion du monde. À la fin, j'étais fatigué, ce n'était pas facile», soulignait Bute le lendemain.

Pour l'encourager, Alexandre Bilodeau, médaillé d'or aux Jeux de Vancouver, est allé trouver le clan à Biscayne Bay.

S'il connaît bien la neige, rien ne dit que Bilodeau s'est installé dans le bain à glace...