Mes excuses, d'abord, chers lecteurs, si j'ai déjà employé ce titre, mais c'est plus fort que moi. C'est l'image qui me vient toujours en tête lorsqu'une nouvelle controverse éclate entre le gouvernement Harper et l'appareil d'État.

Cette fois, la controverse touche la ministre responsable de l'Agence canadienne de développement international (ACDI). Bev Oda a admis être intervenue personnellement pour priver le groupe Kairos de financement, malgré l'avis positif de son ministère.

Cette image d'un gouvernement qui désavoue ses fonctionnaires et ses représentants est renforcée dans mon esprit par une fameuse conférence de presse qu'avait donnée Stephen Harper en janvier 2006, quelques jours avant d'être élu. Il avait dit aux Canadiens: «Ne craignez pas un gouvernement conservateur, même majoritaire, parce que les libéraux ont été au pouvoir tellement longtemps qu'ils ont mis leur monde partout dans la machine et que je ne serai pas capable de passer par-dessus ce mur rouge.»

De fait, le gouvernement conservateur multiplie les accrochages avec la machine et, un peu plus de cinq ans après son arrivée au pouvoir, Stephen Harper semble encore se battre - se débattre, même - contre elle.

Non pas tant, comme il l'a dit, parce que cette machine est rouge, que parce que Stephen Harper oppose des décisions purement idéologiques aux analyses objectives de ses fonctionnaires, quand il ne va pas carrément à contre-courant de la science, comme ce fut le cas pour le recensement.

La question de l'image de M. Harper, souvent perçu comme un idéologue froid et autoritaire, a justement fait surface, hier matin, au cours d'une entrevue avec Agop Evereklian, candidat conservateur dans Pierrefonds-Dollard et organisateur dans l'Ouest-de-l'Île.

Selon cet ancien libéral devenu conservateur il y a quatre ans, bien des Québécois ont une fausse perception de son chef.

«Le portrait que l'on brosse de Stephen Harper n'est pas juste, c'est un homme intègre, un bon père de famille, et il ne changera pas même s'il est majoritaire. On le connaît, il ne changera pas», avance M. Evereklian, qui était, jusqu'en juin, chef de cabinet du ministre de l'Immigration, Jason Kenney.

M. Evereklian affirme que son parti d'adoption est plus ouvert, plus tolérant, plus inclusif que son principal rival, le Parti libéral.

Il serait étonnant qu'un candidat conservateur dise le contraire mais, quoi qu'en pense Agop Evereklian, il faut bien admettre que le gouvernement Harper ne fait rien pour rassurer ceux qui le soupçonnent de souffrir d'idéologie rampante dans sa gestion des affaires de l'État.

L'intervention de Bev Oda dans le dossier Kairos en est le plus récent exemple. Voici un groupe très critique envers Israël qui prétend avoir perdu sa subvention fédérale justement à cause de ses positions, donc pour des raisons politiques. Les faits semblent lui donner raison: la ministre Oda a bel et bien passé par-dessus ses fonctionnaires pour déchirer le chèque.

Kairos est aussi régulièrement pris à partie par des groupes évangéliques, comme le Canada Christian College ou la Canada Family Action Coalition, dont les dirigeants ont leurs entrées auprès des ministres et du premier ministre conservateurs.

De plus, Kairos s'est retrouvé au coeur de la tempête, l'an dernier, lors de la controverse entourant la nouvelle orientation de Droits et Démocratie, autre organisme touché par des interventions politiques.

Coïncidences? Difficile à croire.

Difficile aussi de croire que le défilé de la fierté gaie de Toronto et que le festival Black and Blue de Montréal se sont également retrouvés par hasard dans l'oeil de la tempête politique à Ottawa.

Dans le premier cas, l'ex-ministre déléguée au tourisme, Diane Ablonczy, aurait été rétrogradée après avoir accordé une subvention au défilé de Toronto. Dans le second, le ministre Jean-Pierre Blackburn (anciennement à Développement économique Canada), est lui aussi intervenu personnellement, et contre l'avis de ses fonctionnaires, pour priver de subvention le festival Black and Blue.

Les controverses autour du recensement, l'été dernier, et de la Commission de sûreté nucléaire, il y a trois ans, en disent long elles aussi sur la propension du gouvernement Harper à intervenir lourdement pour imposer ses vues, parfois au mépris de l'expertise scientifique et du gros bon sens.

Envers et contre tous, les conservateurs ont aboli la version longue du formulaire de recensement, une décision qui a provoqué la démission fracassante du statisticien en chef de Statistique Canada, Munir A. Sheikh.

Quant à Linda Keen, présidente de la Commission de sûreté nucléaire, elle a été tout bonnement virée, jugée responsable du fiasco des isotopes médicaux et des problèmes au réacteur de Chalk River.

C'est sans compter les nombreux accrochages entre ce gouvernement et la direction d'Élections Canada et celle de la Commission d'accès à l'information, ni les critiques fréquentes des conservateurs à l'endroit des juges de la Cour suprême ou le lynchage public de diplomates qui osent contredire leur gouvernement.

Les critiques du gouvernement conservateur ont quelques solides raisons de croire que les tendances autoritaires de Stephen Harper risquent fort de s'aggraver s'il obtient la majorité aux prochaines élections.