On n'a pas exulté longtemps. Cela ressemble à ce qu'on vit lorsqu'on monte un col à vélo: ça prend des heures, ça ne finit plus de monter, court moment d'exaltation en haut, la vue est formidable, et puis il faut bien amorcer la descente.

Avec Obama, c'est fou comme on a déboulé tout de suite en bas.

Huit ans de Bush, ça ne finissait plus. Deux ans d'Obama et on est déjà en bas sans qu'on puisse dire s'il est victime - et nous à cause de lui - de son honnêteté, de sa maladresse ou de la dualité de la démocratie: se faire aimer pour être élu, puis forcément décevoir pour gouverner, surtout à travers une des pires crises qu'aient vécues les États-Unis.

On nous rabâche que tous les présidents se font rappeler à l'ordre à ces élections de mi-mandat, sauf qu'ici le rappel à l'ordre pourrait prendre l'allure d'une énorme claque. Mais plus encore que l'ampleur du désaveu, c'est sa nature qui frappe vraiment.

Est-ce que je me trompe? C'est M. Obama lui-même que l'Amérique profonde s'acharne à détester, bien plus que ses timides réformes. Et dans M. Obama, ce n'est pas le Noir que l'Amérique profonde déteste. C'est l'intello.

Bien sûr la crise, bien sûr le chômage. Mais surtout l'intello. Cette façon de gouverner. Cette idée tout intellectuelle de la représentation dans la gouvernance. Pas la représentation au sens théâtral. Au sens de médiation. Au sens d'une démocratie gouvernée. Par opposition à une démocratie directe, en prise directe avec le peuple, qui vocifère sa souveraineté toutes les cinq minutes à travers des Glenn Beck, des Sarah Palin.

M. Obama n'est pas un président populiste, pas le président du gros bon sens. M. Obama va se faire planter aujourd'hui par ressentiment populaire.

Et nous sommes quelques millions de petits Judas, ce matin, à renier Obama, à rire avec les autres de ce prince des nuées que ses ailes de géant empêchent de marcher... Nous sommes des millions, à gauche, de totale mauvaise foi, à grossir cette marée noire. Pas celle de BP; celle de Palin, Beck, Michele Bachmann, Dick Armey, Jim Demint, ce goudron, cette merde noire qui déferle sur l'Amérique et jusqu'à la mairie de Toronto.

Le gros bon sens culturel

Signe des temps (le même que dans l'article précédent?), les journaux font de plus en plus de place, dans leurs pages, à leurs lecteurs. Il y a là-dedans le calcul de contrer les «médias sociaux», qui, paraît-il, grugent leur lectorat.

Si c'était moi, je ferais le raisonnement exactement inverse. Je me dirais que, en ces temps où les gens ont déjà mille tribunes pour s'exprimer, ce dont ils ont besoin n'est certainement pas d'une tribune de plus, mais de références de plus. Je multiplierais les références auxquelles les lecteurs pourraient frotter leur opinion. Je multiplierais les critiques.

La critique est indispensable à l'art comme la représentation peut l'être à la démocratie. La critique annonce, prolonge l'oeuvre, sans ajouter qu'elle est parfois une oeuvre elle-même. Je viens tout juste de lire une critique d'une quarantaine de pages de La tache, de Philip Roth, par Finkielkraut (1), critique avec laquelle je ne suis pas du tout d'accord, qui m'a pourtant énormément apporté en m'aidant à me situer par rapport à l'oeuvre elle-même, par rapport à la littérature américaine contemporaine, et même par rapport à l'écriture, et même - vous ne le croirez pas - par rapport à la droite, à la gauche, à Obama!

Bref, l'autre jour, dans notre journal, à notre demande, un lecteur est allé voir un film québécois: Y en aura pas de facile. Je ne sais pas si c'est un bon film, je n'ai lu là-dessus que ce qu'en dit notre lecteur-critique. Il a beaucoup aimé, mais voyez comme il est sur la défensive: «Mon emploi n'est pas de faire des critiques de films, donc je n'ai pas à aller voir un film dans le but de le décortiquer de A à Z comme vous (comme vous, les critiques)... J'ai pour but de me divertir, dit-il, je me suis bien diverti et je conseille fortement aux gens qui n'ont pas le même objectif que vous (vous, les critiques) d'aller le voir.»

Ouache, la critique qui nous empêche d'avoir du fun. Beurk, la critique. Fuck la médiation. Allez chier, messieurs les enculeurs de mouches. On n'a pas besoin de vous pour consommer. On a une vraie job, nous, O.K.? Quand on va au cinéma, c'est pour se reposer, O.K.?

Ici aussi, on est dans le gros sens. Cette fois culturel.

Ce que j'ai contre le gros bon sens?

Plein de choses. Mais surtout ceci: il se présente toujours penaud. Pauvre, pauvre petit gros bon sens, toujours attaqué, dévalué, humilié par les intellos... Mais tadam! Il finit toujours par triompher, parce qu'il est le goût, la volonté, le coeur du peuple.

Alors que, dans la réalité culturelle, le gros bon sens est impérial, dictatorial, il commande à tout (à toutes les subventions, surtout), ne souffre aucune médiation, aucun filtre entre lui et la consommation.

SEXE EXTRÊME - Dans le reportage de Michèle Ouimet sur le sexe extrême dans un club échangiste (La Presse de samedi), il y a une dame qui confie à ma collègue: Moi, c'est les gang bang qui m'intéressent. Ma collègue s'inquiète: Tu n'as pas peur que ça dérape? Non, non la rassure la dame, c'est très surveillé, l'organisateur nous demande souvent si ça va bien.

Il y a donc un organisateur?

Je l'imagine au-dessus de la mêlée, un peu comme un arbitre au tennis. J'aimerais beaucoup cet emploi, je crois. Comment ça va, madame? Elle ôterait ce qu'elle a dans la bouche:

Ça va, ça va, merci.

Les enfants sont bien? Elle me répondrait que son plus vieux vient d'entrer aux HEC. Elle me rappellerait un peu plus tard: Monsieur, monsieur?

Oui, madame?

Vous n'auriez pas un tournevis?

Vous me trouvez trop vieux pour ces soirées? Sans doute un peu, mais j'apporterais un livre.



(1) Un coeur intelligent, Alain Finkielkraut, Stock/Flammarion