Et s'il allait s'emmerder? S'il allait trouver que je ne pédale pas assez vite? S'il allait trouver ma conversation plate? C'est que, souvent, je n'ai rien à dire. Dans une chronique, ça va, je sais comment tourner la chose. Dans l'écrit, tu peux toujours «faire joli». Mais dans la vie, quand tu n'as rien à dire, t'as l'air d'une boîte de petits pois. C'est ce que les gens disent souvent de moi: ce type, c'est une boîte de petits pois. Sans ouvre-boîte.



Ils diront bien ce qu'ils voudront, ils n'ont pas payé 5050$ pour me rencontrer. Alors que celui-ci, si. Cinq mille cinquante dollars! C'est fou, non? Qu'est-ce que je dois faire, pour ce prix-là? Lui chanter une petite chanson?



Vous savez, c'est ce truc que La Presse organise chaque année en mettant ses chroniqueurs à l'encan: un repas avec Patrick Lagacé, un jogging avec Boisvert, un cours de plongée sous-marine avec Rima, une randonnée à bicyclette avec moi... Le monsieur a payé 5050$. Je sais bien que l'argent va à la Saint-Vincent de Paul, à Moisson Montréal et à Jeunesse au Soleil, mais tout de même, 5050$!

On avait reporté l'expédition à l'automne. Mardi était vraiment bien choisi pour lui montrer mes collines, fauves encore; transies déjà. Les routes maculées de purin chuintaient sous nos roues. À ce moment-ci de l'année, le soleil ne descend pas avant midi dans la vallée que baigne le lac Carmi.

Je n'arrêtais pas de lui dire: c'est beau, non? Je cherchais à le rembourser un peu avec mes collines, belles pour 100 millions. Il les a surtout trouvées plus agricoles que les siennes: il vit à Morin Heights.

À Franklin, il a oublié son portefeuille sur le comptoir du dépanneur. On était pas mal plus loin sur la route quand une dame en auto nous a fait signe d'arrêter: Vous avez oublié votre portefeuille. Un pick-up aussi, plus loin encore, a ralenti et le conducteur a baissé sa vitre: Vous avez oublié votre portefeuille. On a eu l'impression que tout l'est des États-Unis était au courant.

Vous êtes riche?

Il a compris que je lui demandais s'il avait beaucoup d'argent dans son portefeuille. Non, non: dans la vie, vous êtes riche? Cinq mille cinquante dollars, quand même, c'est beaucoup d'argent pour un tour de vélo.

On peut dire ça, oui, je suis riche.

Son père avait des usines, il les a vendues aux Américains, le père est mort, et voilà, c'est comme ça. Il a 43 ans, il n'a pas besoin de travailler même s'il aimerait bien, mais quoi? Il n'avait pas envie de parler de sa richesse. De toute façon, m'a-t-il dit un peu mystérieusement, vous êtes plus riche que moi.

J'y pense, il n'y a rien de mystérieux là-dedans.

Pour le retour, j'avais préparé un risotto avec des cèpes. Il en a repris deux fois. La crème caramel aussi, il en a repris, et puis il est parti chercher son portefeuille à Franklin. Il était en jeep, je lui ai demandé si c'était son auto pour l'hiver. Il m'a dit: j'ai aussi une Porsche. Un silence, puis: deux Porsche, en fait. C'est débile, je sais, mais je trippe sur les Porsche.

Il avait l'air un peu piteux. Je l'ai consolé comme j'ai pu. Je comprends ça, je lui ai dit. Moi, c'est les Yaris.

Ma fiancée ne l'a pas rencontré, il était parti quand elle est revenue: pis, le monsieur? Lui as-tu demandé pourquoi il a misé 5050$ pour une sortie à vélo?

Parce qu'il m'aime bien, je crois. Toi, si t'étais riche, donnerais-tu 5050$ pour faire un tour de vélo avec moi?

Non.

Même en sachant que l'argent va à la Saint-Vincent de Paul? À Jeunesse au Soleil? À Moisson Montréal? O.K., si t'étais riche, à qui donnerais-tu des sous? En même temps que je lui posais la question, j'y répondais dans ma tête. Tu sais bien qu'elle va répondre: à la SPCA.

À la SPCA, elle a dit.

À qui d'autre? (J'ai gagé: à la Fondation de la faune du Québec.)

À la Fondation de la faune du Québec, elle a dit.

À qui d'autre encore, mon amour? (Cette fois, j'ai misé sur le Fonds mondial de la nature et je me suis trompé.)

À l'orphelinat pour les bébés éléphants au Botswana, elle a dit. Tu sais, le truc de la vieille Anglaise.

Moi aussi, souvent, les gens me croient riche. Depuis le temps que vous travaillez, monsieur le chroniqueur, et que vous ne dépensez presque pas, votre vélo a plus de 20 ans, votre linge vient du fripier, vos cèpes viennent du bois, pas d'alcool, pas de dope, et vos collines à 100 millions qui ne vous coûtent pas un rond, vous devez bien en avoir un peu de «collé», non?

Vous ne me croirez pas, mais je n'en sais rien. C'est ma fiancée qui s'arrange avec cela, jamais nous ne parlons d'argent. Ça doit faire plus de 30 ans que je ne suis pas allé dans une banque, que je n'ai pas vu de relevé de compte, une facture, une hypothèque. Peut-être ai-je quelques sous. Peut-être pas. Peut-être sont-ils tous au Botswana.

CHUT! - J'ai écrit récemment plusieurs chroniques qui parlaient du bruit, notamment de celui des avions des écoles de pilotage de Saint-Hubert. Une dame m'écrit: Taisez-vous donc, vous faites baisser le prix de nos maisons.

Ce n'est pas le bruit qui dérange celle-là, c'est d'ébruiter qu'il y en a. Chut.

PLAISIR DE RIEN - La plus jolie phrase que j'ai lue depuis fort longtemps - enfin peut-être pas la plus jolie mais celle qui m'a mis le plus en joie -, je ne l'ai pas lue dans un livre mais dans cet ascenseur d'un hôtel de Québec, le Royal Palace. Sur le tableau lumineux où sont annoncés habituellement les congrès, les conférences, était écrit ce matin-là: aujourd'hui, pas d'événement. J'ai crié mon bonheur.

Je propose une journée mondiale sans événement.