Jean Charest a peur. S'il refuse de déclencher, avec une obstination de plus en plus difficile à justifier, une commission d'enquête sur les irrégularités dans le monde de la construction et des travaux publics, c'est parce qu'il a peur.

Peur de quoi? D'abord, de perdre le contrôle. C'est le réflexe naturel de tout gouvernement d'éviter de se lancer des aventures dont l'évolution peut lui échapper. Ensuite, on s'en doute bien, la peur qu'une telle commission éclabousse les libéraux, et que l'on retrouve, dans ceux qui seront appelés à la barre ou montrés du doigt, un nombre anormalement élevé d'amis du parti et de généreux donateurs.

 

C'est probablement ce qui se produirait. Pas nécessairement parce que le Parti libéral du Québec est moins propre que ses adversaires. Mais pour des raisons sociologiques et politiques évidentes. Le monde des affaires est plus libéral que péquiste. Celui des entrepreneurs aussi. La communauté italienne, très présente dans la construction, est traditionnellement proche des libéraux. On retrouvera donc, c'est presque mathématique, plus de rouges que de bleus.

Mais il y a de bonnes raisons pour lesquelles Jean Charest devrait passer par-dessus ces craintes initiales. Parce que son refus d'une commission éveille des soupçons tout aussi dévastateurs. Et surtout, parce qu'une commission d'enquête dépasserait rapidement cette arithmétique simpliste.

Il est assez évident qu'il existe une tradition. Les entreprises voulant bénéficier des fonds de l'État sont plus actives dans le financement des partis, dans l'espoir que leur générosité sera récompensée. Ce système joue dans les deux sens. Il ne s'explique pas seulement par la cupidité des entrepreneurs. Ce sont les partis qui l'entretiennent, en exerçant un certain chantage sur les entreprises ou des professionnels. Et tous les partis de pouvoir y participent. Combien d'entrepreneurs, de bureaux d'avocats ou d'ingénieurs donnent des deux bords, au cas où? Le système est assez généralisé pour désamorcer les craintes que pourrait avoir le gouvernement libéral.

Il y a certainement un débat à faire sur ces pratiques de financement qui pervertissent le processus démocratique. Mais ce qu'une enquête démontrera, j'en suis certain, c'est que ce genre de favoritisme est de la petite bière. Et que les véritables scandales ne sont pas là.

La pratique du favoritisme, aussi condamnable soit-elle, a des impacts mineurs. Favoriser l'entreprise A pour un contrat public, plutôt que l'entreprise B, pour des raisons d'affinités politiques, est certainement inéquitable pour l'entreprise B. Mais cela ne change pas grand-chose à nos vies, ni aux finances publiques, si le prix du contrat est raisonnable et le travail bien fait.

Le problème, le vrai, c'est l'existence d'abus: irrégularités coûteuses dans les processus d'appels d'offres, gonflement des soumissions, collusion entre soumissionnaires, conflit d'intérêts chez les consultants, menaces et pressions. Ce sont des pratiques condamnables, dont les conséquences sont graves. Une spoliation de biens publics qui pénalise sévèrement l'État, la collectivité, les contribuables.

Mais dans toutes ces révélations, le dénominateur commun ne semble pas être le financement des partis. On change tout à fait de registre. Dans bien des cas, les gestes semblent liés à des interactions entre entrepreneurs, à des complicités avec les appareils administratifs, à la présence d'éléments criminels, qui n'ont rien à voir avec les élus et les partis. Assez pour qu'on quitte rapidement le terrain partisan.

Le gouvernement Charest multiplie les gestes pour montrer qu'il a la situation bien en main et donc qu'une commission n'est pas nécessaire. En fait, les libéraux ne font que réagir après coup. Or, nous avons besoin d'un gouvernement qui agit, c'est-à-dire qui prévient les dérapages. Mais pour prévenir, il faut savoir. Pour savoir, il faut comprendre. Et pour comprendre, il faudra enquêter.