Samedi soir, 20h, il pleut à boire debout sur Vancouver, obligeant les piétons pressés à faire du zigzag entre les parapluies des lécheurs de vitrine de la Sainte-Cat locale, la rue Robson.

Les boutiques ont ressorti les boules et les sapins pour décorer leurs vitrines et les innombrables Starbucks débordent de tasses, gadgets et biscuits de Noël.

Pour le visiteur, il manque toutefois quelque chose dans cette ville. Quelque chose qui devrait pourtant être mis bien en évidence et faire sa fierté: l'esprit olympique. Ou, à défaut d'esprit, au moins une présence, une marque, des signes pour indiquer haut et fort que Vancouver sera le centre du monde dans une dizaine de semaines, avec les Jeux olympiques d'hiver, du 12 au 28 février.

Vancouver sera peut-être le centre du monde, mais les Vancouvérois, eux, s'en fichent et pour le moment, ce sont plutôt les Jeux invisibles.

Outre les immanquables boutiques de souvenirs qui ont mis quelques oursons en peluche aux couleurs de Vancouver 2010 dans leur vitrine, aucun signe de la grande manifestation. Pas de bannière aux poteaux, pas d'affichage public, sauf au grand magasin La Baie du Centre-ville, revendeur officiel des vêtements de l'équipe canadienne et des produits dérivés.

Le bureau d'information touristique de Vancouver, situé à côté du nouveau centre des congrès, est bel et bien passé au vert et bleu, couleurs officielles des Jeux, mais l'endroit est bien discret. Idem pour le centre de vente des billets (de ceux qui restent, du moins) à Robson Square.

Enfin, voilà un signe olympique: un présentoir de vins cuvée Vancouver 2010, à l'entrée d'une succursale de la BC Liquor store (la SAQ locale). Et encore, il faut avoir l'oeil pour remarquer le petit panneau qui indique, discrètement: 83 jours d'ici les Jeux...

Les Jeux manquent de visibilité, admet Sébastien Théberge, porte-parole du COVAN (le comité organisateur de Vancouver 2010).

Récession oblige, la ville, le COVAN et les commanditaires ont sabré dans les budgets de publicité et de décoration. Des coupes de quelques dizaines de millions de dollars.

Dans le contexte de crise économique, la Ville joue volontairement profil bas.

«À peine élu l'an dernier, le nouveau maire a été confronté à la récession et aux dépassements de coûts de 100 millions de dollars du village olympique», explique M. Théberge.

La campagne d'affichage ne commencera qu'en janvier, à un petit mois de l'ouverture des Jeux. En attendant, l'administration municipale évite de faire du bruit autour des Jeux olympiques. Surtout que ces jeux ne font pas l'unanimité à Vancouver, loin s'en faut.

En fait, il n'y a pas que l'affichage qui fasse défaut. L'enthousiasme aussi. C'est simple: tout le monde râle contre les Jeux. Les commerçants et les restaurateurs craignent le bouclage du centre-ville, les gens qui travaillent au centre-ville aussi; les chauffeurs de taxi affirment qu'ils perdront de l'argent; les skieurs, nombreux ici, sont en rogne parce que leurs montagnes seront fermées en partie dès le 1er décembre pour la préparation des lieux de compétition (Cypress, paradis de la planche à neige près de Vancouver) ou difficiles d'accès (Whistler à deux heures environ du centre-ville); les banlieusards affirment qu'ils bouderont Vancouver pendant les Jeux.

Un sondage publié par le quotidien The Province vendredi indique d'ailleurs que les Britanno-Colombiens manifestent beaucoup moins d'intérêt envers les JO que leurs compatriotes du reste du Canada. Selon Angus Reid, 76% des Canadiens croient que les JO auront un impact positif pour la C.-B. contre seulement 57% de Britanno-Colombiens. En plus, près du tiers des gens de C.-B. estiment que l'impact des Jeux sera négatif.

De tous les Vancouvérois à qui j'ai parlé ces derniers jours, une seule (et encore, c'est une fille d'Ottawa installée ici temporairement) a acheté des billets pour les compétitions olympiques.

«À mon bureau, dit-elle, il a fallu que je convainque mes collègues d'acheter des billets parce qu'ils ne voyaient pas l'intérêt. En plus, ils craignent que ce soit trop compliqué de circuler à cause de la sécurité.»

Il est vrai que le centre-ville sera fermé en grande partie, ce qui est tout de même un problème puisque le coeur de Vancouver est sur une île. Une fois dans l'île, tout peut se faire à pied, ou presque, mais faut-il encore y accéder.

Autre problème: les sites de compétition en montagne (Cypress et Whistler-Blackcomb) sont loin de Vancouver et il n'y a qu'une route pour s'y rendre, route sur laquelle on installera un «check point». Il sera à peu près impossible, donc, de se rendre à la montagne pour assister aux épreuves de ski et de planche et de revenir à Vancouver en soirée. Il faudra dormir sur place dans des chambres d'hôtel hors de prix.

Bien des gens de Vancouver n'ont qu'une idée: foutre le camp de leur ville pendant les Jeux. Nombreux sont ceux qui pensaient pouvoir faire un coup de fric en louant leur appartement ou leur maison à des visiteurs olympiques, mais ils sont beaucoup trop gourmands et ils ne trouvent pas preneur. Aux dernières nouvelles, il restait au moins 6000 résidences privées à louer à Vancouver et dans les environs.

En plus des problèmes logistiques appréhendés, les dépassements de coût ont aussi contribué à la grogne populaire contre les Jeux. Les JO devaient coûter autour de 2 milliards, mais certains estiment que ce sera plutôt entre 6 et 8 milliards, une fois tout compté.

Le manque d'enthousiasme a des conséquences directes sur les opérations du COVAN, qui vient de lancer un SOS parce qu'il lui manque un millier de bénévoles, surtout pour ses sites montagneux.

Il y a de la neige en abondance (déjà plus de quatre mètres sont tombés à Whistler), mais les braves volontaires, eux, se font désirer.

L'esprit olympique, contrairement à la neige, ne tombe pas du ciel. Une des plus grandes préoccupations du COVAN, à moins de trois mois des Jeux, est de savoir «si le party va pogner», comme on dit au Québec, ou si les gens d'ici ne feront que «subir» les Jeux.