Avec la mise en ligne de plusieurs émissions de télévision sur le nouveau portail Tou.tv, plusieurs auteurs et réalisateurs appréhendent la fin des reprises et une diminution des ventes de DVD des séries, les privant du coup d'une source importante de revenus.

La SRC pourrait-elle décider de rediffuser les quatre saisons de C.A., alors que les fans de l'émission peuvent les regarder à n'importe quel moment sur Tou.tv? Et les coffrets DVD de la série Les hauts et les bas de Sophie Paquin continueront-ils à trouver preneurs en magasin si les émissions sont disponibles gratuitement sur le web?

«Les reprises ont été une source de revenus importante pour les auteurs dans le passé, explique Sylvie Lussier, présidente de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC) et auteure de l'émission L'auberge du chien noir. Parfois, tu peux être trois, quatre ans avant de rendre quelque chose, alors si tu es en reprise, ça te permet de survivre. Avec l'internet, ce sont tous les droits de suite qui sont mis en péril, ajoute-t-elle. C'est complexe. C'est tout le problème de la gratuité sur le web. Les créateurs sont toujours les derniers à être payés.»

Bien que les scénaristes, les réalisateurs et les comédiens puissent percevoir des redevances lorsqu'une production télévisuelle sur laquelle ils ont travaillé est mise en ligne, ils risquent d'y perdre au change si les chaînes ne prévoient plus de reprises dans leur grille horaire et si les coffrets DVD restent sur les tablettes des magasins ou des clubs vidéo.

Dans les deux cas, il s'agit de moyens intéressants pour les artisans d'aller chercher des revenus supplémentaires, surtout lorsque les temps sont durs.

Il y a quelques années, les reprises du téléroman 4 et demi sur les ondes de TV5 ont permis aux deux auteurs, Sylvie Lussier et Pierre Poirier, d'empocher 60 % du cachet total qu'ils avaient obtenu au départ, lors des premières diffusions de l'émission à Radio-Canada.

Sylvie Lussier n'a rien contre l'idée de mettre en ligne toute une panoplie d'émissions. À preuve, une négociation SARTEC-Radio-Canada sera entamée à l'automne afin de permettre la diffusion de L'auberge du chien noir sur Tou.tv.

Comme il s'agit d'une production de la maison de Radio-Canada, rien n'avait été prévu dans l'entente à cet effet lorsque le téléroman a été mis en ondes il y a huit ans. Mais l'auteure souligne du même souffle que certaines règles devront être revues.

«Ça va changer la façon de négocier. Il va falloir obtenir de plus gros cachets au départ, si on a moins de droits de suite.»

La situation inquiète également le président de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, Jean-Pierre Lefebvre. «On est en terrain miné, dit-il. Nous sommes en pleine exploration.»

Pour sa part, le président de l'Union des artistes (UDA), Raymond Legault, voit l'arrivée de Tou.tv d'un bon oeil. Selon lui, la mise en ligne d'émissions ne se traduira pas par une perte nette pour les comédiens, même s'il y a moins de reprises ou si les ventes de DVD diminuent. En apparaissant sur le web, les acteurs bénéficieront de droits de suite. «Ça ne se traduira pas nécessairement par une perte nette, croit M. Legault. Que ce soit sur un support ou sur un autre, ça ne change pas grand-chose. Il faut être présent sur le web et il faut que tous les artisans y trouvent leur compte.»

À Radio-Canada, on refuse pour le moment de spéculer à propos de la possibilité de présenter moins de reprises au petit écran. «Tout.tv, c'est une autre façon de consommer de la télé, mentionne Marie Tétreault, chef des communications internet et des services numériques de Radio-Canada. Il est trop tôt pour dire s'il y aura un impact sur la programmation des reprises.»

Selon elle, les responsables de la programmation du site sont conscients de l'impact que pourrait avoir le nouveau portail sur la sortie et les ventes des coffrets DVD de différentes séries télévisées. Mme Tétreault souligne que dans certains cas, la parution en DVD pourrait se faire plusieurs mois avant la mise en ligne: «Oui, il y a des ajustements qui doivent se faire. C'est nouveau. On est vraiment au début de quelque chose.»