L'avenir du théâtre au Festival Juste pour rire passe par Molière. Ce regard porté vers le futur s'amorce toutefois par un retour aux sources, puisque Serge Postigo a choisi de monter L'avare comme au XVIIe siècle: à la lueur des chandelles.

La dernière fois qu'on a vu un classique éclairé à la seule lueur des bougies à Montréal, c'était sans doute... au cinéma. On emploie toujours l'expression les feux de la rampe, mais il y a des lustres que les ampoules électriques ont remplacé les chandelles dans les théâtres. Curieux de se rapprocher de l'expérience vécue par les acteurs et les spectateurs du XVIIe siècle, Serge Postigo a choisi de renouer avec cette technique pour sa mise en scène de L'avare.

 

Après trois jours de tests au Monument-National, où sera présenté le spectacle, le metteur en scène a mis au point un dispositif d'éclairage à la fois archaïque et sophistiqué s'appuyant sur des chandelles (2000 par représentation au total) et des jeux de miroirs. L'effet est très séduisant, comme on a pu le constater lors d'une répétition tenue mercredi. La douce lumière des bougies éclaire amplement la scène et les acteurs, tout en conférant à l'ensemble un aspect enveloppé.

Cet éclairage tamisé pose un grand nombre de défis. «C'est extrêmement compliqué, ça change tout», affirme Serge Postigo. La lumière impose en effet aux comédiens une façon différente de jouer: baisser la tête pour être bien vu à l'avant-scène, la relever à mesure qu'ils reculent, et toujours s'assurer de ne pas faire d'ombre à leurs partenaires de jeu.

L'éclairage a aussi influencé tous les autres aspects de la mise en scène, du décor aux maquillages, en passant par les couleurs des tissus, la coupe des costumes et les étoffes dans lesquelles ils sont taillés. «Ce qui est bien avec la chandelle, c'est qu'elles empêchent de voir certaines choses et ne laissent voir que l'essentiel», constate le metteur en scène.

Esprit de troupe

L'éclairage aux chandelles n'est pas la seule façon dont Serge Postigo cherche à se rapprocher du Grand Siècle. Il a aussi voulu renouer avec un esprit de troupe. Plutôt que de confier chacun des rôles à des acteurs qui ont l'âge des personnages, il a choisi une distribution relativement jeune dont le doyen, Luc Guérin, est loin d'être un vieillard. C'est pourtant lui qui jouera Harpagon.

«Nous sommes de jeunes vieux», rigole le comédien, parlant de Frédéric Blanchette et lui. Son collègue n'a pas lui non plus l'âge du vieil Anselme, l'un des rôles qu'il endosse dans cette production. «Molière n'avait pas l'âge d'Harpagon, souligne par ailleurs Luc Guérin. C'est une composition pour moi, comme ce l'était pour Molière.»

Connu pour les nombreux personnages comiques qu'il a interprétés tant à la télé qu'au théâtre, Luc Guérin n'en est évidemment pas à son premier Molière. Il était de la distribution des Fourberies de Scapin, en 1992 au Festival Juste pour rire. Serge Postigo lui offre toutefois son premier rôle principal en carrière dans une pièce classique.

«Oui, c'est un premier grand rôle, mais j'essaie de ne pas trop mettre l'accent là-dessus, dit le comédien. Je suis un artisan. Il y a des acteurs comme il y a des plombiers et des électriciens, je l'ai toujours dit. Je ne veux pas m'énerver moi-même... ni jeter un mauvais sort là-dessus.»

Incarner Harpagon représente d'abord pour lui un beau défi. «C'est extrêmement sportif, affirme-t-il. Cet état de colère et de naïveté à soutenir du début à la fin, c'est quelque chose. Il y a des répétitions que j'ai terminées en me sentant comme un boxeur au 12e round. Et j'en ai fait beaucoup de la comédie.»

Calculateur naïf

L'avare, comme les autres grandes comédies dites «de caractère» de Molière, s'appuie sur un équilibre délicat entre comique et gravité. Harpagon n'est pas un personnage aimable. Il est près de ses sous, bien sûr, mais il caresse en outre le projet d'épouser Marianne (Sophie Desmarais), jeune femme dont son fils Cléante (Bruno Marcil) est amoureux. Des esprits encore plus ratoureux que le sien s'arrangeront toutefois pour qu'il n'arrive pas à ses fins. Si Harpagon sait compter, on ne peut pas dire qu'il soit un fin stratège...

«Il est intelligent en ce sens qu'il est calculateur, mais d'un autre côté, il est dupe. Il est con, par bouts, insiste Luc Guérin. Et moi, je veux accentuer ce côté-là.» Serge Postigo assimile quant à lui le personnage titre de L'avare à un gamin naïf. «Il a des réactions qui tiennent du réflexe, comme les enfants. Et il change d'humeur rapidement, d'où le comique, observe le metteur en scène.

Serge Postigo affirme par ailleurs avoir pris le parti de montrer Harpagon non pas comme un monstre, mais comme un homme soucieux. «Peut-on être avare et joyeux? Je crois que oui. On a eu tendance, à travers les siècles, à jouer ce personnage de façon sombre, à lui faire porter sur son visage les traits de son intériorité, constate-t-il. Mais Harpagon, tant qu'on ne lui parle pas d'argent, tout va bien!»

L'avare, à compter du 15 juin, 20h, au Monument-National.