Les jolies jeunes filles qui font rêver le vieux Eguchi, personnage central des Belles endormies, hantent Nini Bélanger depuis longtemps. Endormi (e) est l'aboutissement d'un travail qu'elle peaufine depuis sa sortie de l'École nationale de théâtre, en 2005.

Les belles endormies raconte les nuits qu'un vieil homme appelé Eguchi passe dans une maison où de jeunes femmes, plongées dans le sommeil grâce à un breuvage narcotique, se laissent regarder et caresser. De cette situation étrange, Yasunari Kawabata a tiré une réflexion sur la solitude, l'érotisme et le vieillissement.

 

Nini Bélanger a lu le roman du Prix Nobel japonais il y a une dizaine d'années. Elle en avait trouvé l'atmosphère très malsaine. «J'étais dans une passe extrêmement féministe, se rappelle-t-elle, alors ça m'avait un peu dégoûtée.»

Le trouble qu'elle avait ressenti a pourtant fini par l'intéresser. L'oeil de la metteure en scène y a décelé une situation dramatique très forte, et elle a aussi été séduite par les aspects contemplatifs et oniriques du récit. Pascal Brullemans (connu notamment pour ses fructueuses collaborations avec Éric Jean) et elle en ont donc peaufiné une adaptation qui ne conserve que les éléments centraux du roman (le lieu, le vieil homme et les filles), et les ont transposés au Québec.

«J'avais envie que ce soit un show qui tourne autour de la solitude», dit la metteure en scène, pour qui le vieillard (rebaptisé Édouard) est d'abord un homme «qui n'a pas été touché, qui n'a pas eu de chaleur humaine» depuis longtemps. Ce qu'il veut, ce n'est pas consommer l'acte avec les filles, mais d'abord dormir avec elles. Se sentir vivant, alors que le dépérissement de son corps le confronte à sa propre fin.

Pour jouer ce conte sur le désir et la mort, quatre comédiens ont été recrutés: Michel Mongeau (Édouard), Dominique Pétin (la tenancière), ainsi que Catherine-Amélie Côté et Caroline Bouchard (deux belles endormies). La transposition scénique fera également appel à la vidéo.

Les scènes oniriques seront jouées dans le noir et rendues visibles par l'entremise d'une caméra équipée d'un système de vision nocturne. «On travaille le côté charnel, avec de gros plans, révèle la metteure en scène. Ça nous rapproche du corps et de la sensualité.»

Ce qui est au coeur du projet, c'est toutefois moins l'image que le rapport au temps. L'objectif de Nini Bélanger est de travailler le moment présent. Le texte de Pascal Brullemans se lit en 28 minutes, son spectacle en dure 80. «Ça veut dire que je dois avoir des comédiens habités», affirme la metteure en scène.

L'essentiel se passe dans le silence et la lenteur: le regard de l'homme sur les corps de femmes, les caresses, le désir, la frustration et la nostalgie. «Ma démarche fait que les gens ont le sentiment d'entrer dans l'intimité des personnages», constate Nini Bélanger. Et c'est précisément l'autre objectif d'Endormi (e): explorer la zone grise entre représentation théâtrale et voyeurisme.

Endormi (e), du 22 octobre au 1er novembre à La Chapelle.