Les acteurs du théâtre québécois ont salué hier le dramaturge britannique Harold Pinter, décédé mercredi au terme d'un long combat contre le cancer. Le Prix Nobel de littérature en 2005, qui avait 78 ans, était réputé pour son opposition à la guerre en Irak.

«Il a changé le monde», a tranché Yves Desgagnés, qui a mis en scène la pièce Le retour, le mois dernier, au Théâtre du Nouveau Monde.

L'auteur avait émis le souhait d'assister à la première de l'adaptation québécoise de son oeuvre. Mais sa santé l'en avait empêché.

Pourfendeur de la politique étrangère américaine et du thatchérisme britannique, Harold Pinter a toujours fait figure de rebelle anti-impérialiste. Il a notamment réclamé la comparution de Tony Blair et de George Bush devant la Cour internationale de justice pour avoir déclenché la guerre en Irak.

«Il s'est battu farouchement contre l'impérialisme américain et la façon dont les Américains ont envahi le monde de façon très insidieuse pour ensuite prendre le contrôle», a expliqué M. Desgagnés.

Ce combat a imprégné toute son oeuvre, poursuit-il. Le retour, par exemple, raconte l'histoire d'un jeune homme qui revient chez lui pour présenter sa femme à sa famille. La jeune femme gagne graduellement la faveur des hommes du clan. Au point où, à la fin, elle mène la maisonnée d'une main de fer.

«Exactement comme les Américains ont fait partout sur la planète, dit Yves Desgagnés. Ils s'immiscent de façon séduisante par leurs spectacles, leurs divertissements, leurs chaînes de télévision, en voulant aider. Et une fois que tout le monde leur a donné leur confiance, ils prennent le contrôle.»

Mais au-delà de ses prises de position politiques, Harold Pinter était avant tout un acteur et un auteur émérite. On lui doit plus de 30 pièces, des poèmes, des mises en scène et des scénarios de films.

Son style complexe, amalgame de silences lourds, de sous-entendus et de jargon de l'Est londonien, avait marqué son époque. Tellement que le dictionnaire Oxford a créé le mot «pinteresque» pour désigner une atmosphère de menace.

Le comédien Marcel Sabourin, qui tenait le rôle principal dans l'adaptation du Retour, se souvient que de nombreuses discussions avaient perturbé les répétitions.

«On discutait du sens de la pièce, a-t-il relaté. Qu'est-ce qu'il veut dire? Qu'est-ce que tel ou tel personnage veut dire? Avec le metteur en scène de la pièce, on a changé d'idée plusieurs fois.»

Fils d'un tailleur juif, Harold Pinter est né le 10 octobre 1930 à Hackney, un quartier populaire de Londres. Le succès lui était venu avec The Servant, filmé en 1963.

Peu connu au Québec

L'oeuvre de l'écrivain britannique a rayonné de par le monde, mais elle reste assez peu connue du grand public québécois. C'est que l'auteur, qui a vécu plusieurs années en France, n'acceptait qu'un traducteur pour ses oeuvres, le metteur en scène français Éric Kahane.

«On était pris, souvent, avec des traductions très franchouillardes, très parisiennes, a déploré Yves Desgagnés. Ça a beaucoup stoppé l'accès à Pinter ici au Québec. On a quand même des racines anglaises très importantes puisqu'on a été colonisés par les Anglais. De devoir passer par Paris pour y avoir accès, il y avait quelque chose de schizophrénique.»

Il a bon espoir que la mort de Harold Pinter ouvre la porte à l'adaptation québécoise de plusieurs autres de ses pièces.

«Il faut qu'un plus large public ait accès à ses oeuvres, a affirmé Yves Desgagnés. Parce que c'est une oeuvre de réflexion qui pose, encore une fois, l'énigme de l'homme dans l'univers. Tout le monde aurait intérêt à s'y frotter.»