L'université de l'humour, c'était le titre donné par le groupe d'humoristes québécois Les Cyniques à sa rétrospective télévisée en 1990. Mais il n'est jamais trop tard pour apprendre plus en matière d'humour et de société, et on peut étudier désormais le quatuor de plus près. En effet, 44 ans après sa sortie, le premier album des Cyniques sort en format CD, de même que le deuxième, lancé en 1967. À vos places, tous ! Au programme aujourd'hui, nous nous pencherons sur un groupe phare du Québec, qui a quasi tout inventé en matière d'humour contemporain

En 1961, quatre étudiants de l'Université de Montréal présentent un spectacle d'humour: Marc Laurendeau, Marcel Saint-Germain et André Dubois (qui se joint au groupe dès la deuxième représentation) étudient en droit et passeront tous trois leur Barreau, alors que leur confrère Serge Grenier étudie à la faculté de philosophie. Les Cyniques sont bel et bien nés. Leurs spectacles extrêmement caustiques leur attirent la faveur du public étudiant.

En 1962, où ils deviennent officiellement humoristes, ils se produisent à la Comédie-Canadienne (en remplacement de la revue musicale Bleu et or, où jouent Claude Léveillée et compagnie), puis entreprennent pendant quelques années la tournée des boîtes à chansons, cabarets... et motels: le motel Totem de Piedmont fait grand cas de leur présence sur sa scène tous les samedis soirs (ils sont étudiants!) et fait une campagne de publicité en conséquence.

En 1965, le gérant du fameux cabaret montréalais La Casa Loma les voit au Totem et les engage: ils seront à l'affiche 28 jours en octobre 1965 et attireront 25 000 spectateurs!

En 1966, ils lancent leur premier album, Les abominables Cyniques en spectacle, enregistré à la Butte à Mathieu, à Val-David (c'est l'un des deux disques réédités en CD), où il est autant question de la publicité, de la censure que des frères du Sacré-Coeur. C'est Stéphane Venne qui les accompagne au piano. La même année, ils figurent dans la première émission de télé couleur de Radio-Canada. Mais leur parodie de Claude-Henri Grignon (auteur des très populaires Belles histoires des pays d'en haut) leur vaudra de ne pas être réinvités au petit écran avant deux ans!

Les Cyniques entreprennent de nombreuses tournées au Québec, souvent à guichets fermés, notamment à la Comédie-Canadienne (en 1966, 1967, 1968 et 1969). En 1967, ils font un second album (Les Cyniques, volume 2, lui aussi réédité en compact, avec une pochette signée Vittorio) et lancent également Les Cyniques à la Comédie-Canadienne. Entre 1968 et 1971, ils lanceront quatre autres albums, tous vendus à quelque 20 000 exemplaires.

Pendant l'été 1968, ils présentent à Radio-Canada leur Émission impossible, évidemment satirique, toutes les semaines. Ils feront de même à l'été 1969, mais leurs parodies et critiques sont soumises aux diktats de la télévision et ils préfèrent finalement s'éclipser pour renouer avec la liberté de la scène.

En 1969 toujours, grand canular: Les Cyniques affirment avoir organisé un congrès de fondation de quatre nouveaux partis politiques à l'«aréna Maurice-Sauvé» (croisement imaginaire des arénas Maurice-Richard et Paul-Sauvé); ce sont le Parti des pèlerins pour un monde meilleur (dirigé par Marc Laurendeau), le Parti agricole des Seigneurs du Sud (André Dubois), le Parti National Géographique (Marcel Saint-Germain) et le Parti Radical Fier-à-bras (Serge Grenier, dont le slogan est «Quand t'as un gun dans ta poche, t'es ben indépendant»...). C'est évidemment une blague, mais en 1970, ils donneront véritablement des spectacles pour aider au financement du Parti québécois.

La Presse et Les Cyniques

Auparavant, en 1969, La Presse organise un grand Concours des méchants Cyniques, où les lecteurs doivent choisir le plus méchant des quatre humoristes (c'est André Dubois qui remportera le titre, en raison notamment des ses imitations décapantes de Pierre-Elliot Trudeau). C'est également La Presse qui publiera un conte de Noël écrit par Les Cyniques en décembre 1970: La mouffette et les lapins traite, sur le mode métaphorique, des événements d'octobre 1970...

La même année, ils se produisent deux mois au Patriote de Montréal, puis en 1971 montent sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts pendant quatre soirs. À la télé, ils sont également du très bon Bye Bye 1971 aux côtés de Dominique Michel et Denise Filiatrault (André Dubois sera scénariste et comédien dans le Bye Bye 1972).

C'est aussi en 1971 que sort le film Ixe-13, dans lequel les quatre Cyniques tiennent plusieurs rôles (quinze à eux quatre, dont Dubois qui incarne Ixe-13 lui-même), aux côtés de Louise Forestier. Inspiré des aventures d'Ixe-13, «l'as des espions canadiens-français» créé par le romancier québécois Pierre Saurel, le film est réalisé par Jaques Godbout. La critique est tiède, mais le long métrage compte quelques scènes d'anthologie.

En 1972, 10 ans après leurs débuts, Les Cyniques se séparent en présentant un dernier spectacle, Exit, notamment à Wilfrid-Pellerier à la Place des Arts. Les quatre hommes entreprendront alors une seconde carrière: Marc Laurendeau en journalisme, André Dubois en production télé, Serge Grenier en scénarisation, alors que Marcel Saint-Germain devient chef des communications à Bell Canada et BCE. En 1990, le groupe se réunit pour faire l'émission Les Cyniques à l'université de l'humour. En 2007, Marcel Saint-Germain meurt. Les Cyniques, eux, survivent au passage du temps...