Cette semaine, quelques heures après avoir atterri à Montréal pour promouvoir les deux représentations qu'il donnera au Centre Bell, en mai, Gad Elmaleh s'est retrouvé dans la grande salle du cégep Saint-Laurent. Il n'y avait pas mis les pieds depuis 1991, époque où il étudiait pour un DEC en sciences humaines, sans se douter qu'il deviendrait un jour un des humoristes les plus populaires de la France et de la francophonie.

«C'est fou, mais rien n'avait changé. J'ai su me diriger partout dans le cégep. J'ai retrouvé le local de la radio, où je pensais être un grand animateur écouté dans toute la ville alors qu'on diffusait en circuit fermé. Puis, j'ai pris le couloir jusqu'à la cafétéria et constaté la pérennité de certaines traditions. Par exemple, les deux tables à gauche en entrant, c'est toujours des émigrés qui les occupent. Des Haïtiens, des Marocains, des Chinois. Pourquoi ils se mettent toujours là? demande-t-il avec l'air faussement perplexe qu'il affiche souvent sur scène pour remettre en cause une évidence et faire rire le public. Inutile de dire que je ris de bon coeur, comme tous ceux qui rencontrent l'humoriste de 38 ans et qui sont immédiatement conquis par son charme, sa chaleur, son humour et par cette intelligence fine qui agit tantôt comme un capteur, tantôt comme une éponge ou un aspirateur.

Gad Elmaleh ne fait pas qu'observer les réalités qui l'entourent. Il les boit, les mange, les respire et les aspire. L'imitation chez lui dépasse vite le stade superficiel de la reproduction mécanique pour devenir émulation et symbiose. Ainsi en est-il de cet accent québécois qu'il reproduit sur commande et qui émerveille à tout coup par sa justesse. En l'écoutant attentivement, on se demande s'il n'aurait pas eu Richard Desjardins comme prof tant la ressemblance est frappante.

«Non, Desjardins n'a pas été mon prof, mais c'est vrai que je connais tous ses disques par coeur. J'adore sa poésie. J'adore sa diction, sa façon de manier la langue et c'est évident qu'il a eu une influence marquante sur moi. Reste que pour maîtriser un accent, la recette, c'est d'aimer et d'être à l'écoute», me lance Gad au milieu du hall d'un hôtel du Vieux-Montréal, avant de me citer texto Le bon gars de Richard Desjardins.

À un canapé de nous, il y a son agent qui écoute d'une oreille distraite et il y a Carl Abitbol, un copain d'adolescence avec qui il a fréquenté l'école juive Maimonide de Côte-Saint-Luc jusqu'à sa cinquième secondaire et à qui il demande des précisions dans le genre: dis donc Carl, pourquoi on est allés au cégep Saint-Laurent au fait? Parce que c'était plus facile qu'ailleurs?

Un mécène

Si le cégep Saint-Laurent n'a pas changé depuis que Gad l'a quitté en 1991, il en est autrement pour certaines salles de spectacle. Le Café Campus, où Gad a assisté aux premiers pas de plusieurs humoristes d'ici, a déménagé. Quant au Centre Bell, il n'existait même pas.

«Bell, pour moi, c'était une facture de téléphone, ironise-t-il. J'habitais un petit studio boulevard Édouard-Montpetit que je payais grâce à un job dans le café étudiant du cégep. Au début, ça été un peu le choc à cause de l'hiver, mais en même temps, c'était super. Je découvrais un esprit, une culture, une ouverture. Les Québécoises me rendaient dingue et ce que j'aimais des jeunes de mon âge, c'était leur liberté, au sens où ils avaient des projets et n'avaient pas peur de foncer pour les réaliser.»

Pourtant, en 1992, après un séjour de quatre ans chez nous, il part à Paris étudier au cours Florent. Deux ans plus tard, c'est un mécène de la rue Chabanel, et un ami de la famille, qui le ramène à Montréal. Michel Azoulay, PDG de Modium international, entreprise d'importation de vêtements, lui a en effet réservé la salle du cabaret Juste pour rire, convaincu avant tout le monde de son talent.

«Comment ne pas croire en lui, m'écrit le mécène de l'étranger. Quand je l'ai connu, Gad avait déjà un talent d'imitation exceptionnel, mais surtout il avait cette intelligence qui fait la différence entre le banal et le très haut niveau.»

«Je dois tout à Michel Azoulay, clame pour sa part l'humoriste. Je n'étais jamais monté seul sur scène avant et je suis convaincu que si ce type n'avait pas existé, je ne serais jamais monté sur scène. Pourtant, quand il m'a annoncé qu'il avait réservé une salle à Montréal, je lui ai répondu: mais enfin qu'est-ce que tu connais au showbizz, tu vends des chemises. Il a répliqué qu'il s'en foutait. Qu'il allait lui-même vendre les billets s'il le fallait, mais que je ne pouvais pas me défiler. Le 10 décembre 1994, je me suis donc retrouvé sur la scène du Cabaret Juste pour rire devant une salle à moitié remplie de copains et de gens de ma famille. On a tout filmé. Et en sortant de scène, je me suis dit: voilà c'est décidé, c'est ça que je veux faire dans la vie.»

Un artiste, pas un politique

Non seulement cette première expérience de scène a donné confiance à celui qui en 2007 sera élu l'Homme le plus drôle de l'année par les abonnés de TF1, mais elle scelle son destin. Après cela, les choses ont décollé rapidement.

De retour à Paris, il devient l'assistant d'Elie Kakou, un humoriste d'origine tunisienne. Puis en 1996, il fait partie de l'équipe du matin d'Arthur sur Europe 2, où il teste ses premiers personnages, dont Momo Zemio, un jeune Marocain qui a acquis la nationalité française par un mariage blanc, chose que ne fera jamais Gad.

Même en 2000, quand il épousera la comédienne Anne Brochet, la mère de son fils Noé, il gardera sa double nationalité marocaine et canadienne sans chercher à devenir français. C'est encore le cas aujourd'hui et Gad n'offre aucune explication, ni politique ni autre.

La politique demeure un sujet problématique pour lui. Elle l'est devenue encore plus en juillet alors qu'il a été l'objet de menaces de mort après que la chaîne télé du Hezbollah l'ait présenté comme un ex-soldat israélien. De fausses photos de lui en uniforme militaire ont même circulé sur l'internet. Devant l'ampleur de la controverse, il a annulé la série de spectacles qu'il devait donner dans la capitale libanaise.

«Ça m'a rendu malheureux de voir que des gens mentaient impunément à mon sujet et voulaient faire de moi un soldat alors que j'ai toujours prôné le dialogue, la tolérance et la paix et que je n'ai jamais servi dans aucune armée.»

Lorsque je lui demande de commenter la plus récente déclaration de son copain Jamel Debbouze, qui trouve ridicule et raciste le débat entourant le port de la burqa, il soupire. Puis il me sert mot pour mot le même raisonnement qu'il avait servi sur le plateau de Thierry Ardisson il y a huit ans. «Je suis un artiste, pas un homme politique. S'il y a une chose que je ne supporte pas, c'est les gens qui croient que les artistes ont des compétences dans tout, y compris la politique. Je regrette, mais ce n'est pas mon métier. Quand je pense à la burqa, je pense au sketch de Lise Dion sur le sujet. Voilà à mon avis comment les comiques devraient s'exprimer sur des sujets comme ceux-là. Avec des sketches.»

Il me lance cette dernière phrase avec une fierté à peine dissimulée à l'endroit de sa présence d'esprit, mais aussi de sa culture québécoise qui ne semble pas avoir pâli avec le temps. Il promet d'ailleurs de revenir sur ses années québécoises au Centre Bell, même si Papa est en haut est avant tout un spectacle sur la paternité et la filiation inspiré à la fois par son propre père toujours vivant et par son fils Noé âgé de 9 ans. «Ce que je dis à mon fils dans ce spectacle, c'est que même si papa est en haut, qu'il a du succès, qu'il est au top de sa carrière, qu'il coanime les César la semaine prochaine, qu'il a été dirigé par Spielberg dans le film Tintin, t'inquiète pas, il garde les pieds sur terre.»

Venant d'un autre que Gad, on pourrait douter de la sincérité de ces dernières paroles. Mais de la part de ce fils adoptif de Montréal, heureux mélange de couscous et de poutine, qui sait aussi bien reproduire l'accent que la modestie québécoise, on y croit.

@* NOTE INFRA:Gad Elmaleh présentera Papa est en haut les 27 et 28 mai prochains au Centre Bell.