Big 3rd Happy/End, de la compagnie franco-autrichienne Superamas, tient à la fois du théâtre et de la performance, de la vidéo et de la danse, du cinéma et de l'installation sonore. Son caractère touffu n'empêche pas, paradoxalement, de le résumer en une phrase: cet objet scénique décalé est une illustration des idées de Jacques Derrida et Guy Debord sur la société du spectacle.

Pas très sexy, dites-vous? Détrompez-vous. Big 3rd n'a rien d'un exposé rebutant. Ici, la pensée se traduit en action répétées, en clichés (et en comédiennes) déculottés, en séquences vidéo détournées et par un jeu distancié. Pour transposer sur les planches les théories de Debord et Derrida, Superamas a pris Marshall Macluhan au pied de la lettre: le message de son spectacle se trouve dans sa forme.Big 3rd Happy/End, comme son titre l'indique, s'intéresse à la quête du bonheur. Non pas aux petits plaisirs du quotidien, mais à ces quelques visions du bonheur constamment relayées - et par le fait même imposées - par la télé, le cinéma, la publicité ou le monde du spectacle. Cela va de l'extase vécue sur un plancher de danse bondé à ces thérapies farfelues, mais qui ont l'air tellement libératrices!

Superamas a construit son spectacle autour de deux scènes principales: l'une tourne autour d'un groupe de rock (fratrie masculine par excellence) et a des airs de pub de bière; l'autre se déroule dans un vestiaire où des filles parlent de sexe ou se font des confidences (le ton est très Sex & the City). Des séquences vidéo et deux tableaux dansés s'intercalent entre ces deux points d'ancrages.

Le lien entre ces scènes? Elles s'appuient toutes sur des idées ou des images qu'on a fini par confondre avec l'idée même du bonheur: succès, beauté, argent, célébrité, voyages, vie sexuelle effrénée. Puisque le sexe sert à vendre tout et n'importe quoi, Big 3rd en parle beaucoup.

Superamas cumule ces lieux communs et en use pour rendre son spectacle intéressant et agréable à l'oeil, bien sûr. Mais surtout pour les déconstruire. Après avoir été jouées une première fois, les scènes du groupe rock et du vestiaire sont en effet répétées. Leur déroulement est toutefois marqué par de nombreuses ruptures s'apparentant à des arrêts sur image.

Ces pauses successives massacrent bien sûr le rythme du spectacle, mais contribuent surtout à en révéler la mécanique. Elles déjouent les attentes du spectateur et l'empêche de s'identifier aux personnages, donc de s'évader dans les petites histoires qui sont racontées.

Ces arrêts forcent à s'interroger et à constater qu'on se trouve devant une représentation de la réalité et, par extension, qu'on est constamment bombardé de ce genre de représentations de ce que devrait être la réalité. Ils obligent à prendre conscience de notre condition de spectateur dans la société du spectacle dans laquelle nous vivons.

La démarche de Superamas est indéniablement intéressante. Et très habile. Ce qui ne veut pas dire que Big 3rd Happy/End ne souffre pas d'être aussi un exercice de style. L'opération n'a rien d'aride (seul un court extrait de Derrida est intégré au spectacle), mais le spectacle stimulant laisse un peu sur sa faim dans sa manière de se refuser au bon plaisir du spectateur...

Même après avoir pris conscience de l'envers du décor, même après avoir saisi qu'il faut s'affranchir de ces clichés qu'on nous assène pour trouver son propre petit bonheur, on ne peut s'empêcher d'avoir envie d'un bon show, d'abord et avant tout. C'est dire la puissance du marché aux illusions dans lequel on vit.

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Dans le cadre du festival Temps d'image, jusqu'au 29 janvier, à l'Usine C.