Passons outre au boiteux bilinguisme du nom: Opéra Piccola a été lancé jeudi soir au Théâtre Outremont, très élégant immeuble d'une autre époque dont les 800 sièges étaient presque tous remplis. Les organisateurs avaient réussi à déplacer le ministre des Finances et député d'Outremont, Raymond Bachand, qui a dit quelques mots tout en s'excusant de devoir partir à l'entracte. La mairesse Marie Cinq-Mars a aussi parlé, de même que la souriante Mme Anne-Marie Trahan, juge à la retraite qui a fondé Opéra Piccola avec le chanteur Taras Kulish.

Celui-ci écrit dans le programme : «Depuis plusieurs années, je rêve de présenter de l'opéra professionnel durant la saison estivale à Montréal. Ce rêve est maintenant une réalité.»

Je suis au regret d'informer M. Kulish qu'il rêve encore. «Opéra professionnel» est un terme ambitieux qui implique bien des choses : une oeuvre complète, ou tout au moins dans sa quasi-intégralité, des chanteurs de premier plan, des décors et des costumes, une mise en scène et un orchestre. L'opéra, c'est cela. Ce que nous avons vu jeudi soir est -- comment dire? -- du «piccola» quelque chose.

Sans compter le sympathique bla-bla du début et les 10 minutes d'entracte, le programme (repris samedi soir au même endroit) fait à peu près une heure et demie. Quatre chanteurs se le partagent. Ce sont, par ordre de mérite : le baryton Alexander Dobson, la mezzo Julie Nesrallah (qui remplace Julie Boulianne souffrante), le ténor Luc Robert (dont le nom a disparu de la liste des artistes, page 5!) et la soprano Mariateresa Magisano. Ils sont accompagnés, au bas de la scène, par un tout petit groupe instrumental qu'Esther Gonthier dirige du piano.

Donné avec surtitres français et anglais, le programme contient huit airs et ensembles de divers opéras et, après la pause, huit autres pièces qui, sauf une, sont tirées d'opérettes, l'exception étant une Cabaret Song de William Bolcom qui remplace l'air que devait chanter Mme Boulianne.   

Voulant manifestement varier le coup d'oeil sur cette succession de 16 pièces, le metteur en scène Alain Gauthier a rempli le plateau de petites chaises dorées, disposées symétriquement -- et sans allusion à Ionesco, j'en suis sûr. Il y en a 28 exactement : j'ai eu le temps de les compter. Le spectacle entier se déroule parmi les 28 petites chaises : les chanteurs y circulent, s'y asseoient, mais sans jamais les déplacer.   

Les petites chaises n'établissent pas de lien pour autant entre les pièces. Elles créent même certains rapprochements loufoques. Ainsi, après le duo où Butterfly et Suzuki couvrent de fleurs toutes les chaises, Don José survient avec son air célèbre qu'il faudrait réintituler Les fleurs que tu m'avais jetées car il y en a partout ! M. Gauthier n'avait-il donc pas noté le ridicule de la situation ?   

Peu à dire sur l'ensemble des prestations vocales. Dobson détonne d'abord, dans l'air de Don Giovanni, mais se ressaisit bientôt. Chaleur du timbre et aisance du geste : voici le seul professionnel de la petite troupe. Julie Nesrallah a plus de présence que de voix. Vamp en robe rouge feu, elle est crédible en Maddalena et en Carmen, mais certainement pas en servante. Un bon professeur pourrait sans doute tirer quelque chose du ténor et même de la soprano.   

L'auditoire, en bonne partie d'invités, a ovationné debout et obtenu un rappel: Heure exquise, de La Veuve joyeuse de Franz Lehar.

OPÉRA PICCOLA. Spectacle de lancement, jeudi soir, Théâtre Outremont. Reprise samedi, 20 h.