Cela fait 100 ans que le quotidien Le Devoir affiche sa devise en une: «Fais ce que dois». Hier soir, au Métropolis, une trentaine de chanteurs - Richard Desjardins, Daniel Boucher, Michel Rivard, Diane Dufresne, Dumas... - ont clos les festivités du centenaire par un grand spectacle hors du commun, parsemé de moments de grâce où chacun semblait ne suivre qu'une seule et même belle devise: «Chante ce que dois».

Sous la direction artistique du journaliste du Devoir Sylvain Cormier et de Mouffe, animé agréablement par Monique Giroux, le spectacle a réussi à démontrer que la chanson québécoise est un vrai «quotidien» musical, avec ses faits divers, ses articles de fond, ses éditoriaux sonores. C'était mieux qu'un moment d'anthologie, a fait remarquer un de mes voisins, c'était une anthologie.

Tour à tour, Dufresne, Richard Séguin, Steve Normandin, Renée Martel, Catherine Durand, Dumas (qui a notamment repris avec énergie Je cherche des Lutins), Gilles Valiquette, François Guy (l'ex-Sinner nous a tous fait entonner Québécois...), Daniel Boucher (qui a frappé un grand coup en chantant du Félix Leclerc enragé noir), Les Charbonniers de l'enfer, Michel Rivard (avec une version absolument magnifique de Montréal en compagnie de Boucher), Monique Fauteux (la «seule voix féminine d'Harmonium» a littéralement ensorcelé le Métropolis avec Le corridor), Louise Forestier (on va le dire, incroyable pendant Pourquoi chanter, même les barmans se sont interrompus, subjugués, pour l'écouter!), Renée Claude passant du triste intense (La vie d'factrie) à la joie insouciante (C'est notre fête aujourd'hui, avec un texte remanié pour l'occasion: ça fait 100 ans qu'on est ensemble, mes amours)...

Musiciens impeccables

Et ça, c'était juste la première partie! Dire qu'on ne vous a pas encore parlé des musiciens, tous impeccables, sous la direction de Vincent Réhel, et des éclairages sensibles, et des projections de photos, de publicités, de pages de journal, de films maison derrière les artistes.

C'est à dessein que je nomme tous ces noms: de même qu'un journal est fait de nombreux artisans, dont plusieurs sont dans l'ombre, cet unique et beau spectacle en hommage au quotidien Le Devoir était une oeuvre collective, un maillage de métiers et une grande chaîne de chansons d'hier et d'aujourd'hui.

Le spectacle a évité pratiquement tous les écueils propres à ce genre d'événement. Pas de panégyrique du Devoir (dont une jolie touche d'humour de Rivard: «Je suis un abonné du Devoir, je le lis tous les matins... même si je ne comprends pas tout!»), pas de présentation dans l'ordre chronologique strict, quelques medleys suffisamment longs pour qu'on ne soit pas frustrés, un choix de chansons vraiment pertinent, des chanteurs généreux qui se donnent autant dans «leur» chanson que dans celles des autres ou qui se font musiciens (Flynn à l'orgue B-3, Catherine Durand au banjo, Marie-Annick Lépine au violon) le temps d'un morceau.

En outre, il y a quelques moments vraiment uniques, de vraies idées de mise en scène différente: Daniel Boucher et Les Charbonniers de l'enfer reprenant l'un après l'autre la même grande chanson (Le chant d'un patriote de Leclerc), une version tout en harmonies vocales et a capella du traditionnel Ma délire par Claire Pelletier, Pierre Flynn, Richard Séguin et Michel Rivard, le medley instrumental de Steve Normandin qui a fait chanter toute la salle en mariant des extraits de Léveillée, Duguay, Dubois, Ferland, Deschamps... Plus fort, toujours plus fort, la deuxième partie a également eu son lot de moments inoubliables: La Manikoutai par Claire Pelletier, c'est toujours absolument renversant; Bernard Adamus avec La question à 100 piasses, ça faisait du bien d'entendre un air plus récent; et le laïus de Biz de Loco Locass, c'était une brise bienvenue. Mais ça faisait aussi tellement plaisir de revoir Renée Claude chanter, regarder Charlebois et Louise Forestier refaire Lindbergh, voir Richard Desjardins en duo avec Renée Martel... Bref, pas de chiens écrasés ni de journal jaune, hier, au Métropolis. Juste des bonnes nouvelles, uniquement Le Devoir, mais doublé de plaisir.