Appalaches. Le titre s'est vite imposé à Richard Séguin: «C'est mon 17e album et ça fait 38 ans que j'écris à la même place: ça doit me façonner d'une certaine façon.» Rencontre avec un artiste qui a appris à faire les choses à son rythme.

Depuis Lettres ouvertes, paru en 2006, Richard Séguin ne s'est pas tourné les pouces. Qu'on pense aux concerts avec le Grand Choeur immortalisés sur disque, aux deux albums et aux spectacles des Douze hommes rapaillés, au duo qu'il vient d'enregistrer pour les prochaines Retrouvailles de Gilles Vigneault (J'ai planté un chêne) et à sa participation, le mois prochain, aux soirées de poésie/chanson d'Alexandre Belliard.

Mais Séguin s'est surtout consacré à sa tournée qui a pris fin sur une note acoustique avec le guitariste Hugo Perrreault. «Quand on finit une tournée, il arrive qu'on soit en manque, confie-t-il. On veut être partout! Mais le fait de me retrouver dans les Appalaches m'apaise; ça me permet de prendre mon temps, de faire les choses à mon rythme.»

Il lui est déjà arrivé d'être emporté dans un tourbillon. L'aventure Fiori-Séguin, à la fin des années 70, est vite passée de la cellule créatrice désirée à un prolongement involontaire d'Harmonium. «J'ai appris beaucoup, mais je ne peux pas dire que j'avais une signature personnelle», constate-t-il aujourd'hui. Puis il est revenu plus fort, atteignant des sommets de popularité avec la trilogie Double vie, Journée d'Amérique et Aux portes du matin. «On était sur l'autoroute à cette époque-là», dit-il en riant.

Depuis, les choses ont bien changé: «Je ne suis pas présent à tout prix. Je considère que je suis plus dans la création depuis quelque temps et ça me donne une certaine liberté de ne pas être en représentation. Mais là, on reprend la route, c'est une autre dynamique.»

La sortie d'Appalaches sera suivie à l'automne d'une tournée avec Hugo Perreault et le guitariste Simon Godin. Séguin a hâte de voir comment le public va accueillir ce nouvel album: «C'est drôle, j'avais l'impression qu'il était dur d'approche. J'ai abandonné toutes les structures pop, pas question de couplet-refrain. Quand une chanson prenait une direction, je la suivais. Je me suis obligé à ne pas tomber dans certains tics vocaux, j'ai descendu le registre, je voulais que ça soit plus intime.»

L'essence du folk

Appalaches est un disque folk dans l'essence même de ce que le folk a toujours apporté: la prédominance du texte, appuyé par des musiques essentiellement acoustiques, mais plus étoffées qu'il n'y paraît à la première écoute. «Pour une même chanson, je pouvais avoir quatre musiques qui allaient à quatre endroits différents, raconte Séguin qui a pris l'habitude de composer en marchant. J'en avais qui étaient trop enrobées et je savais qu'après une minute et demie, on ne penserait plus au texte, ce que je ne voulais pas.»

Il a pondu dix-huit chansons et en a gardé onze qu'il a enregistrées avec Perreault sur une période de six mois et demi: «Quand on a terminé la tournée, on avait trouvé une façon de travailler, une façon d'épurer. C'est le principe japonais: ce n'est pas ce qu'on ajoute qui compte, c'est ce qu'on enlève.»

Il a commencé par In God We Trust, que Luce Pelletier lui avait commandée pour boucler son Cycle états-unien du Théâtre de l'Opsis et qui traite de la récupération de Dieu par la droite américaine et des Mexicains qui tentent de passer la frontière du Texas. Puis Charly Bouchara lui a donné Écris, écris, un «texte-fleuve» qui lance l'album: écrire pour nommer les choses, pour dénoncer, pour prendre la parole au nom de ceux qui ne l'ont pas. Écrire social donc, mais aussi écrire intime, sur le plaisir des amoureux (Voyager léger qui clôt l'album sur une note apaisante) ou la peur de devenir vieux, parce qu'en chanson il n'y a pas de sujet mineur.

Appalaches est un disque engagé dans le sens le plus noble du terme, un peu dans l'esprit des protest songs des années 60 et 70, coloré par un harmonica omniprésent. Dans Lettre au PM, sur un texte signé Marc Chabot, le chanteur interpelle Stephen Harper au sujet de sa politique militaire. «C'est difficile de parler des politiciens tout en étant respectueux; surtout avec Harper, les débordements sont faciles, commente Séguin. Mais je lui dis: je vais te parler en faisant appel à ton intelligence, à ta sensibilité.»

Dans le livret, Lettre au PM est illustrée par une photo du panneau-réclame War is over if you want it de John Lennon et Yoko Ono. Ce n'est pas le seul clin d'oeil aux années 70. Quand la mémoire scintille rend hommage aux «langues nouvelles vivantes et rebelles» des Pauline Julien, Michèle Lalonde et Marie-Claire Blais. «Je ne voulais pas tomber dans le «que sont devenus nos rêves?», c'est très défaitiste, dit Séguin. On souffle sur la braise et si le feu part, tant mieux; sinon, on va en faire un autre et on va souffler encore.»

Les sources d'inspiration d'Appalaches sont multiples, de Hélène Pedneault et Michel Chartrand à Florent Vollant et sa famille en passant par la lecture de textes sacrés amérindiens, les jeunes manifestants du G20 et un voyage à Kuujjuak. À quoi bon courir lui est venue de son grand-père Willie qui lui est apparu dans un rêve et dont il a emprunté le violon pour cette chanson: «C'est la première fois que je fais parler des fantômes!»



Richard Séguin, Appalaches, Spectra Musique/Sélect. En magasin mardi.