Juste avant d'entreprendre un court rappel, Juliette Gréco a conclu son programme principal par «un dialogue avec la mort». J'arrive, de Brel. Il fallait entendre la voix forte jaillissant de cette frêle femme qui disait combien elle aurait aimé avoir plus de temps pour ceci ou pour cela et qui, sans vraiment contester le verdict, avait encore le culot de faire patienter la Grande Faucheuse.

Il y avait de la crainte dans cette voix, mais aussi une pointe de défi. Surtout, il y avait de la vie, dans le corps et dans les cordes vocales de l'interprète. Juliette Gréco, osons le cliché, ne fait pas son âge vénérable et en a de nouveau fait la preuve, hier, au Théâtre Maisonneuve.

Son tour de chant a été d'une grande simplicité: un accordéon, un piano (son fidèle Gérard Jouannest au clavier) et des jeux d'éclairage minimalistes. Rien pour distraire de ce qui compte: le petit bout de femme drapé dans une robe noire, capable d'évoquer la plus grande tendresse et de lâcher des éclats de colère étonnants.

Gréco avait sélectionné 20 chansons de son imposant répertoire. Du Ferré (Jolie môme), du Gainsbourg (Accordéon, La Javanaise, La chanson de Prévert) et du Brel, bien entendu: Mathilde, Bruxelles et la magnifique Chanson des vieux amants, superbement rendue, hier. Avec une aisance déconcertante, elle a sans cesse passé de la gravité (Train de nuit, Amant d'un jour) à la frivolité (Déshabillez-moi, Un petit poisson, un petit oiseau).

Diseuse autant que chanteuse, elle fut remarquable de nuance et de justesse dans son interprétation de Tout ira bien. Ce beau texte signé Abd Al Malik, jeune rappeur d'origine congolaise, épaulé par Jouannest, parle d'amour et de mort tout en demeurant traversé par l'espoir. Gréco l'a servi avec une économie de moyens, le geste précis et la voix pleine d'une douce générosité.

Douceur et brusquerie

La manière Gréco n'est pas que douce, bien sûr. Elle bouillonne. Et si son énergie est intacte, la chanteuse n'a pas toujours su ménager ses effets, ponctuant certains textes d'éclats de colère pas toujours bienvenus. Des brusqueries qui étouffaient les mots plus qu'ils ne les révélaient. C'est ainsi que son interprétation du plus grand classique de Ferré, Avec le temps, fut en dents de scie: par moments criante de vérité, par moments excessive.

Ces imperfections et ces glissements mis à part, Gréco demeure une impressionnante artiste de scène. Une grande dame de la chanson. Parce qu'elle a l'art de choisir les mots qui lui conviennent, qu'ils aient été écrits par Ferré ou un immigré congolais, par Brel ou LeForestier. Gréco, c'est Gréco, mais c'est aussi un répertoire qui s'étend sur plus d'un demi-siècle de chanson française.