Clairette Oddera, la grande dame de la chanson française du Montréal des années 60, a cessé de chanter mardi. L'amour de Clairette pour la chanson a marqué une époque. Son héritage est peu connu des plus jeunes. Pourtant, elle a contribué à l'essor de nombreux talents : Sylvain Lelièvre, Robert Charlebois, Claude Dubois, Daniel Guérard, Diane Dufresne, Pierre Létourneau ou France Castel. C'est elle aussi qui a appris à chanter à Marie-Chantal Toupin...

Clairette était née Claire Oddera à Marseille en 1919. Chanteuse et comédienne, elle était la dernière actrice encore vivante du film de Marcel Pagnol, La fille du puisatier, tourné en 1940 et dans lequel elle était Amanda aux côtés de Raimu et de Fernandel.Après avoir chanté en Suisse puis à Marseille, elle reçoit une proposition du chanteur d'opérette Georges Guétary de l'accompagner en tournée «au Canada» en janvier 1949. Son aventure montréalaise commence. Elle se produit alors au Champlain, à l'angle de l'avenue Papineau et de la rue Sainte-Catherine. Succès immédiat. On l'engage pour plusieurs mois. «En plus, on me donnait deux à trois fois ce que je gagnais en France», raconte-t-elle, en 2005, dans le livre Français de Montréal. Clairette chante ensuite à New York de 1951 à 1954. «À Broadway, le patron me disait: Ils ne vous comprennent pas, mais ils disent que vous êtes bonne!»

Puis, elle s'installe à Montréal en 1956. Elle anime la petite boîte du Café Saint-Jacques avant de créer Chez Clairette en mai 1959, peu avant la venue de sa soeur Danielle, à Montréal.

De 1959 à 1972, sa boîte à chansons est très populaire. Yves Montand, Simone Signoret, Gilbert Bécaud et Jacques Brel ne manquent jamais d'y venir. Son cabaret est un incubateur de talents. Tous les lundis après-midi, de 14 h à 17 h, elle fait passer des auditions.

«Ma seconde mère»

Elle a ainsi beaucoup apporté à Claude Dubois, même si le chanteur se souvient d'avoir parfois passé de bien mauvais quarts d'heure! «J'ai eu parfois des petits savons, dit-il, mais quand elle était sévère, c'était pour mon bien. Elle m'a dicté ma conduite. Si Pedro Rubio, de la Casa Pedro, était mon second père, Clairette était ma seconde mère. Et puis, j'ai compris pourquoi Brel l'aimait tant: les mots qui sortaient de ce bout de femme étaient une fête.»

Pour Claude Dubois, Clairette était «l'exception à la règle». «Elle mettait la qualité avant le profit, dit-il. Son cabaret était entre la boîte et la salle de spectacle. Elle nous faisait aller vers plus grand».

Clairette était fière d'avoir mis plusieurs chanteurs «sur la map», disait-elle, tout en regrettant que certains de «ses petits» aient eu tendance à oublier sa contribution. Mais elle se réconfortait en disant: «Je ne me suis pas trompée.»

En 1972, la roue a tourné. La boîte a fermé. Mais «ses petits» étaient lancés. Clairette a alors donné des cours de chant et participé à des revues musicales et des téléromans comme Au pied de la pente douce et Les Berger.

Marie-Chantal Toupin a été une de ses dernières élèves. «Clairette a été mon premier professeur de chant, disait-elle récemment à La Presse. J'avais 7-8 ans. Elle ne voulait pas me prendre parce que j'étais trop petite. Elle me trouvait ben ben cute: Tu es ma petite dernière, je vais te garder! Elle me disait aussi: Arrrrrti-cu-le, je n'entends pas ce que tu chantes!»

Chanter jusqu'à la fin

Son bon ami des dernières années, le chanteur et animateur Roger Sylvain, dit que Clairette a toujours chanté. Jusqu'à la fin. Elle a chanté en juin une chanson de Brel, Mon enfance, à l'occasion d'un hommage à Raymond Berthiaume.

«On était très proches ces 10 dernières années, car j'étais le seul qui la faisait chanter. Les gens ont la mémoire courte dans le métier, mais j'espère que l'ADISQ lui rendra hommage.»

À la Ville de Montréal, le vice-président du comité exécutif, Sammy Forcillo, a déclaré, hier, qu'avec le décès de Clairette Oddera, «un pan entier de la culture musicale française de Montréal vient de disparaître».

Avec la contribution d'Alain de Repentigny