La semaine dernière, lors de son passage à Tout le monde en parle, le comédien Jasmin Roy a soulevé la question du langage utilisé entre filles dans les cours d'école. «Chienne, pute, vache... Il me semble que leurs mères et leurs grand-mères se sont battues pour ne pas qu'on les appelle ainsi», a lancé M. Roy, qui mettait le doigt sur une réalité difficile à expliquer.

En effet, les jeunes filles d'aujourd'hui semblent peu concernées par les combats féministes de leurs aînées. Pourquoi le seraient-elles? Ayant grandi dans des familles où la mère travaille et partage les tâches avec le père, elles n'en ressentent sans doute pas le besoin.

Mais cette indifférence va plus loin. La majorité des jeunes filles ne semble pas accorder d'importance à la piètre image que les médias leur renvoient, image qui contribue bien entendu à façonner celle qu'elles ont d'elles-mêmes.

La télévision joue un rôle important dans la construction de cette image, car elle demeure, pour l'instant, LE véhicule culturel principal auprès des jeunes. Ils la regardent en moyenne 35 heures par semaine (pour les 2 à 11 ans) et 28 heures par semaine (pour les 12 à 17 ans). Que regardent-ils? Et quels modèles leur proposent leurs émissions préférées?

Prenons une semaine au hasard: celle du 24 octobre. Quelle était l'émission la plus regardée par les enfants et les ados? Était-ce Glee? Bob l'éponge? Les Parent? Non, l'émission la plus regardée était Occupation double, et ce, par les deux groupes d'âge, les 2 à 11 ans et les 12 à 17 ans.  

Or, que propose cette téléréalité? Elle propose un univers où les relations amoureuses sont un jeu, une stratégie, une marchandise. Elle montre des couples prêts à plonger dans une baignoire à remous et à faire l'amour devant deux millions de personnes pour courir la chance de gagner un condo et une voiture de l'année. Elle montre aussi de jeunes hommes tous taillés sur le même modèle (gros bras, peu de conversation) et des filles qu'on dirait sorties d'une usine tellement elles se ressemblent avec leurs cheveux longs, leurs lèvres pulpeuses et leur plastique de Barbie.

On mise non pas sur leurs qualités intellectuelles, mais bien sur leur tour de poitrine et la blancheur de leur sourire. Quant aux relations hommes-femmes, elles ont la maturité des amourettes d'adolescents (pas étonnant que les jeunes se reconnaissent là-dedans). Ajoutez à cela du crêpage de chignon, des manigances, des coups de couteau dans le dos et vous voilà devant un beau portrait lancé en pâture aux jeunes qui n'ont ni les outils ni le sens critique pour le décortiquer.  

À quand des émissions mettant en vedette de jeunes filles intelligentes, équilibrées, bien dans leur peau, valorisées non pas (seulement) pour leur charme, mais pour leur propos?

Le sexisme, toujours présent

Au cours de la dernière année, deux documentaires ont fait la démonstration de l'impact des médias dans l'estime de soi des jeunes femmes. Aux États-Unis, le documentaire Miss Representation (qui a été présenté au dernier festival Sundance) a montré l'ampleur des propos sexistes dans les médias.

Des exemples: une présentatrice de nouvelles qui observe qu'Hillary Clinton a l'air très fatigué. «On dirait qu'elle a 92 ans», ajoute-t-elle. Un commentateur à qui on demande ce que changerait l'arrivée d'une femme à la Maison-Blanche et qui répond: «Vous voulez dire à part les SPM et les sautes d'humeur?» Un de ses collègues qui souligne que Nancy Pelosi n'avouerait pas sous la torture qu'elle a eu recours à la chirurgie plastique... Des remarques absolument déplacées, lancées à heure de grande écoute dans le cadre d'émissions d'affaires publiques (et non satiriques), le sourire en coin, devant des millions de téléspectateurs.

La documentariste québécoise Sophie Bissonnette a elle aussi abordé le sujet du sexisme dans les médias dans Être ou paraître, produit par l'ONF. Elle a donné la parole à de jeunes filles qui expliquent à quel point la répétition d'images stéréotypées mine leur estime d'elles-mêmes.

Ces remarques sexistes se fondent dans l'air ambiant, dans un univers culturel et social où le succès repose en grande partie sur les apparences, où les jeunes filles comprennent bien vite que leur valeur tient plus à leur beauté qu'à leur intelligence.  

Difficile à accepter, mais, en 2011, près de 50 ans après les écrits féministes de Germaine Greer, Betty Friedan et compagnie, l'image de la femme se résume trop souvent à celle d'une maniaque de magasinage, obsédée par son apparence physique et par son pouvoir de séduction.

Nous serons bientôt en 2012 et, malgré les nombreux essais féministes, malgré les prises de position des femmes sur la place publique et malgré l'adoption d'une charte de l'image corporelle au Québec, on voit très peu d'amélioration en ce qui concerne l'image des femmes véhiculée dans les médias et la culture populaire.

Les médias ne peuvent pas guérir tous les maux de la société, mais ils sont tout de même un miroir. Or, que feriez-vous si, jour après jour, votre miroir vous renvoyait la même image réductrice? Vous commenceriez peut-être à y croire.