La récente visite du maire de Mascouche aux locaux de TVRM, la télévision communautaire de Terrebonne, est un exemple de plus des relations difficiles entre les élus municipaux et les médias régionaux à l'extérieur des grandes villes.

Imagine-t-on un instant le maire de Montréal se présenter dans la salle de nouvelles de Radio-Canada pour faire savoir au journaliste David Gentile qu'il n'a pas apprécié la diffusion d'une entrevue qu'il lui aurait accordée?

C'est pourtant ce qu'a fait le maire de Mascouche, Richard Marcotte, à la fin du mois de janvier. Quelques jours après une entrevue durant laquelle l'animateur Simon Paquin lui avait demandé de quelle façon il avait acquis un tracteur (la rumeur voulait qu'il l'ait reçu en cadeau d'un entrepreneur), le maire Marcotte s'est rendu à la station en compagnie de son attaché politique. «Il est venu nous dire qu'on pourrait recevoir une mise en demeure de l'entrepreneur en question, raconte Simon Paquin. C'était carrément de l'intimidation.» La station a immédiatement retiré l'entrevue de sa programmation.

C'est loin d'être la seule histoire du genre. L'an dernier, le Courrier Laval a retiré de son site web un reportage du journaliste Stéphane St-Amour sur les déclarations d'intérêts pécuniaires du conseiller municipal Benoît Fradet, également vice-président d'une entreprise spécialisée en béton. Dans la version papier, la direction du journal a publié un texte qui blanchissait M. Fradet. La même semaine, Stéphane St-Amour, qui a une trentaine d'années d'expérience, s'est vu retirer le dossier des affaires municipales. L'affaire est actuellement devant un arbitre de griefs.

Des histoires comme celles-là, il s'en produit souvent au Québec. En novembre dernier, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a publié le Dossier noir de l'information municipale (le deuxième en 11 ans), un répertoire des petites histoires d'horreur que vivent les journalistes qui pratiquent leur métier dans des villes peu couvertes par les grands médias nationaux ou encore, dans des municipalités où la proximité entre élus et médias est insoutenable.

On y relate notamment une rencontre entre un journaliste, son directeur de l'information et son éditeur dans les bureaux d'un maire à la suite de la publication d'un texte qui avait mis son administration dans l'embarras. «Je lis Les Rois maudits, ces temps-ci, avait dit en substance le maire. Dans ce temps-là, les indésirables, on les empalait...»

Il n'y a pas que l'intimidation qui nuit au travail journalistique. On peut aussi limiter l'accès à l'information ou encore employer des mesures de rétorsion économique. Le récent rapport Payette sur l'avenir de l'information au Québec fait lui aussi écho des difficultés des journalistes qui travaillent avec peu de moyens dans des villes où le travail journalistique n'est visiblement pas bien compris.

Nathalie Deraspe en sait quelque chose. Présidente de la section Laurentides de la FPJQ, elle est également journaliste et rédactrice en chef remplaçante à Accès Laurentides, un hebdomadaire indépendant qui a son siège à Piedmont.

Depuis 2006, Nathalie Deraspe n'est plus invitée aux conférences de presse de la Ville de Saint-Jérôme. Le maire Marc Gascon et son équipe la boycottent à un point tel que, récemment, on ne l'a pas invitée à une conférence de presse à laquelle assistait la députée du Bloc de la région, Monique Guay. «J'ai appelé au bureau de la députée pour dire: "Voyons vous n'allez pas embarquer dans le jeu du maire?" Je me suis fait répondre que c'est lui qui avait lancé les invitations...»

Le maire Gascon n'est pas le seul à faire la vie dure à Accès Laurentides. À la suite de la publication d'un texte qui faisait état des problèmes de congestion causés par les travaux sur l'Autoroute 15, Tourisme Laurentides et Mont-Saint-Sauveur International ont fait part de leur mécontentement à la rédaction du journal. «Ils trouvaient que ce n'était pas bon pour l'image de la région et pour le tourisme», raconte la journaliste.

En plus de figurer sur la liste noire du bureau du maire de Saint-Jérôme, Nathalie Deraspe ne peut pas parler aux employés de la Ville, qui ne la rappellent jamais. La Ville a en outre arrêté de publier ses avis publics dans Accès Laurentides, ce qui le prive de revenus substantiels. «Je me rends quand même aux points de presse, lance Nathalie Deraspe. Je poursuis mon travail, mais ce n'est pas facile.»

Que peut-on faire? Le rapport Payette mise notamment sur la création d'un statut de journaliste professionnel pour donner des munitions aux journalistes qui subiraient des pressions et pour accorder des crédits d'impôt aux médias qui les embaucheraient. On voudrait également obliger les municipalités à afficher sur leur site web les renseignements accessibles en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Mais au fond, ce sont les mentalités qu'il faut changer en commençant par sensibiliser les élus à la nature du travail journalistique. Nathalie Deraspe, elle, s'inquiète des conséquences de ces abus de pouvoir sur la vie citoyenne. «Comment les citoyens peuvent-ils prendre des décisions éclairées, voter et empêcher l'urbanisation sauvage dans leur région s'ils ne sont pas informés?»