«Kuessipan», en langue innue, veut dire «À toi», mais peut aussi être traduit par «À ton tour». C'est à son peuple que Naomi Fontaine destine son livre, plein de respect et de dignité, sans pour autant masquer les difficiles réalités de la réserve. Même si elle écrit: «Bien sûr que j'ai menti, que j'ai mis un voile blanc sur ce qui est sale.»

Naomi Fontaine ne regarde pas de haut son village natal d'Uashat, mais profite de la distance pour mieux comprendre. Si elle est née dans la réserve, dès 7 ans, elle a grandi à Québec en compagnie de sa mère et de ses quatre frère et soeurs. «Ma mère est devenue veuve pendant qu'elle était enceinte de moi, raconte-t-elle d'Uashat au bout du fil, d'une voix qui conserve encore ses accents adolescents. Elle voyait la misère et elle a voulu nous sauver de là. Ce n'était pas facile de quitter la famille, mais elle a fait ça pour nous, afin qu'on puisse voir autre chose. Elle voulait nous donner une chance dans la vie. La réserve, c'est quelque chose qui porte bien son nom, c'est réservé, justement. Elle a brisé quelque chose comme un enfermement, ce qui nous a rendus plus libres, de partir ou de revenir.»

À 22 ans, Naomi Fontaine fait ses études en enseignement du français au secondaire à l'Université Laval. Elle compte enseigner à Uashat, où elle connaît tout le monde, puisque tout le reste de sa famille y habite. Sa situation identitaire ressemble à celle de beaucoup d'immigrants, même si elle est née ici. À Québec, on soulignait sa différence, elle était «l'Innue», tandis qu'à Uashat, elle est la fille de Québec! Il lui a fallu un peu de temps pour accepter ses paradoxes. Comme bien des enfants, elle avait le désir d'être «comme tout le monde» et vivait mal sa différence. Aujourd'hui, c'est le «désir d'être soi» qui l'emporte. «Quand j'étais petite, j'entendais dire de mon peuple que c'était tous des alcooliques, se souvient-elle. Mais je n'ai pas souffert des préjugés autant que ma mère, je n'ai jamais pensé que j'étais moins bien que les autres. Aujourd'hui, je suis capable de dire que je suis fière de mes origines, car je réalise plus ce que cela veut dire. Avant, je vivais un dilemme. Aujourd'hui, je sais que je peux être chez moi partout.»

Au bout du compte, est-elle contre la réserve? «Oui. Je crois que cela aurait été mieux s'il n'y en avait jamais eu. J'estime que c'est une idée injuste, que ce n'est pas une manière de vivre. Mais si on les abolissait, les premiers qui seraient contre seraient les Innus. Et pourtant, je veux revenir enseigner ici, parce que je sais qu'il y a quelque chose à faire, et que c'est quand même mon village. C'est chez moi.»

L'avenir

Si l'on trouve dans Kuessipan quelques échos d'un passé plus idyllique, on n'y trouve pas de nostalgie et encore moins de folklore. Naomi Fontaine est résolument tournée vers l'avenir. Son regard n'est ni rose ni noir, et jamais accusateur. «J'ai voulu écrire un livre sur mon peuple parce que je trouve qu'il n'y en a pas beaucoup, dit-elle tout simplement. C'est sûr qu'il y a beaucoup de souffrance derrière la misère, mais je voulais aussi que les gens sachent qui on est, qu'on a aussi des forces, entre autres les enfants et la famille, et que les gens veulent s'en sortir. Le passé, c'est le passé, il faut faire avec ce qu'on a. Je n'aurais pas eu envie d'écrire juste sur des gens qui sont à terre. Je décris la misère, mais en dessous, il est important de montrer la force et la beauté.»

Pour la jeune écrivaine, toute situation a ses raisons. Elle écrit quelques pages lumineuses sur la maternité, très précoce et répandue dans la réserve où, dans les mentalités, «le risque de ne pas tomber enceinte est plus grand que celui de l'être». «Oui, nous connaissons la contraception, nous sommes tous conscients de cela, explique-t-elle. Mais on dirait que c'est un choix pour la vie. Les femmes ici veulent toutes avoir des enfants. Comme pour combler un vide. L'avortement ne fait pas partie de notre culture. Ce qui me fascine, c'est qu'on dirait que les enfants, ça ne les fatigue jamais! Il faut dire aussi que tout le monde s'entraide et s'implique dans l'éducation.» Et, à Uashat, souligne-t-elle dans son livre, «il n'y a pas de maisons pour les vieillards».

Mais les pères sont trop souvent absents. Elle-même n'a jamais connu le sien, mort dans un accident de voiture à 24 ans. Elle élève seule son fils de 3 ans. Elle dit que ce sera probablement le sujet de son prochain roman... Qu'on attendra, maintenant qu'une nouvelle parole, qu'on espère durable, nous parvient d'Uashat.

Kuessipan

Naomi Fontaine

Mémoire d'encrier, 111 pages