Les espoirs, les peurs et les désillusions de la science n'ont jamais cessé d'inspirer les écrivains, rappelle Jean-François Chassay dans son nouvel essai, La littérature à l'éprouvette, qui explore les liens entre la littérature et les sciences. «Je suis toujours étonné que les gens s'intéressent plus à l'astrologie qu'à l'astronomie», confie-t-il.

Pour ce professeur de l'UQAM spécialisé dans les rapports entre les sciences et la littérature, la science est plus magique que ses dérivés ésotériques. Parce qu'elle brasse brutalement les cartes de nos convictions les plus profondes. «C'est un vieux problème, note-t-il. Les gens ont souvent été critiques face à la science parce que, d'une certaine manière, elle nous a apporté bien des désillusions. La Terre n'est pas au centre de l'univers, ni notre galaxie, Darwin a démontré que nous n'étions pas supérieurs, mais des mammifères, cousins éloignés des grands singes... Il n'y a pas de raison d'être désillusionnés. C'est nécessaire d'avoir une petite humilité.»

Ces découvertes fondamentales ont bouleversé notre rapport au monde, et, bien sûr, la littérature. Pour Jean-François Chassay, on ne voit pas la science tellement elle fait partie de nos vies, de notre culture, et les écrivains ne peuvent en faire abstraction, comme les scientifiques ne peuvent élaborer leurs théories hors de la culture de leur temps. Nous avons joint Jean-François Chassay alors qu'il était en pleine tournée de colloques en France, entre Paris et Toulouse. Il est présentement plongé dans les théories «prégénétiques» de la fin du XIXe siècle, et découvre, avec amusement et effroi, les préjugés de la littérature scientifique de l'époque. «On découvre des Prix Nobel qui disaient des niaiseries abominables. L'eugénisme, l'hérédité, la hiérarchisation des races, qu'est-ce qu'un taré, ça ratisse très large! Même quelqu'un comme Francis Galton disait des aberrations comme quoi la classe sociale est héréditaire! Ce qui est présenté comme scientifique est bourré d'idéologies et de préjugés.»

Avec La littérature à l'éprouvette, Jean-François Chassay propose son essai le plus accessible au grand public, érudit et humoristique, qui donne envie de se procurer tous les romans en bibliographie et de retourner potasser dans nos livres de science-fiction. L'essayiste a choisi trois grands thèmes pour démontrer à quel point sciences et littérature sont liées: la bombe nucléaire, l'informatique et la génétique.

La bombe, par exemple, a causé une véritable rupture dans l'imaginaire, certainement la fin d'un enthousiasme face au progrès. «À l'époque, on a pensé naïvement que la seule existence de la bombe ferait en sorte qu'il n'y aurait plus de guerre. Ce qui fait sa particularité, c'est qu'elle annonce le début de la «Big Science», celle des méga grosses équipes de recherche. Le chercheur solitaire dans son laboratoire, ça n'existe plus tellement.»

«Une hypothèse est toujours une fiction»

Si la bombe a créé une nouvelle exploration de l'apocalypse -»les pires catastrophes sont le pain béni de la littérature», écrit-il -, la génétique touche des cordes autrement plus sensibles. «Ça touche le rapport à la nature, à notre nature. Nous sommes des êtres naturels. Si nous pouvons imaginer des mécanismes qui permettent aux tétraplégiques de marcher, cela devient délicat dès que la frontière est franchie entre guérir et améliorer. Jusqu'où peut-on transformer un être humain et dire qu'il est encore un être humain? Ça touche notre être profond, notre identité, l'espèce.»

Et Jean-François Chassay d'ajouter que ce qui rapproche les écrivains et les scientifiques, ce sont les hypothèses, «parce qu'une hypothèse est toujours une fiction». Ce qui nous ramène au langage. C'est le grand obstacle, en science, que de traduire des réalités extrêmement complexes, qui vont de l'infiniment petit qu'on ne peut même pas voir au gigantisme de l'univers. Les scientifiques, comme les écrivains, doivent user de métaphores, et celles-ci sont souvent détournées. «C'est extrêmement difficile de parler de choses indicibles en langage courant. Par exemple, l'astrophysicien qui a lancé le terme Big Bang voulait ridiculiser une théorie qui était vraie. En français, ça ferait le Gros Boum. Or, la naissance de l'univers n'est pas une explosion et il n'y a pas de bruit dans l'univers! Il y a plein d'exemples comme celui-là qui ont été utilisés comme des labels publicitaires. Ça fait sens, mais c'est le mauvais sens. Nous sommes toujours pris avec le langage. C'est pour ça que la littérature est intéressante pour la science: elle oblige à chercher des mots, mais pas de façon didactique.»

La littérature à l'éprouvette

Jean-François Chassay

Liberté Grande, Boréal, 129 pages