Parce qu'été ne rime pas nécessairement avec neurones débranchés, voici une dizaine de bouquins qui ont retenu notre attention par leur charme, leur syle et leurs histoires captivantes. Ils ne trônent pas tous dans le haut des listes des meilleurs vendeurs, certains sortent légèrement des sentiers battus, et ils valent le détour.

DES LIVRES QUE NOUS AVONS DÉVORÉS

Si Vous Recevez Cette Lettre > Sarah Blake, Calmann-Lévy, 358 pages

L'amour au temps de la guerre - quoi de plus romantique? La romancière américaine Sarah Blake en exploite pleinement les possibilités dans Si vous recevez cette lettre. Le roman de Blake hésite entre le destin de trois femmes: Iris, la receveuse de poste qui entame la relation avec son futur amant en lui présentant un certificat médical attestant de son état «intact»; Emma, la femme du médecin de la petite localité; et Frankie Bard, reporter de guerre qui travaille en Angleterre. Finalement, et c'est bien fait, le roman de Sarah Blake suit l'histoire de Frankie, la femme qui tente de réveiller l'Amérique aux persécutions des Juifs par les nazis en faisant des reportages à la radio. Le coeur du roman s'y trouve: Frankie parcourt l'Europe à la recherche des voix qui vont secouer son pays et le convaincre de combattre le régime d'Hitler. Elle échoue, car les États-Unis n'entrent en guerre qu'après l'attaque à Pearl Harbor en décembre 1941. Mais le roman réussit, car il nous donne le portrait d'une femme engagée qui cherche une façon d'émouvoir son pays dans la difficile période où celui-ci évitait de se mouiller sur la scène internationale. À la fin, les trois personnages du roman se rencontrent au petit bureau de poste de Franklin, au Massachusetts, car une lettre égarée peut changer le destin... Un beau roman «de femmes» qui évite la frivolité du «chick-lit». - David Homel, collaboration spéciale

D'acier > Silvia Avallone, Liana Levi, 388 pages

Le nouveau roman social italien. Salué par la critique italienne lors de sa sortie, D'acier conjugue habilement le roman social et le roman d'apprentissage avec le portrait de deux jeunes adolescentes, Anna et Francesca. Coincées dans un HLM en pleine déliquescence, les filles, plus fillettes, pas encore jeunes filles, font tourner les têtes, et ont des rêves plein la tête. Le monde autour d'elles s'écroule. Pères alcooliques ou violents, mères dépassées, frères et amis qui s'abîment à l'usine, le portrait que brosse Sylvia Avallone de Piombino, à côté de l'île d'Elbe, contraste avec l'image d'Épinal que l'on peut se faire de l'Italie. Sylvia Avallone connaît bien ce milieu, dans lequel elle a grandi. Plus que la perte de repères de la classe ouvrière, plus encore que le malaise adolescent, plus que les fillettes qui se rêvent forcément starlettes de la télévision, ou presque danseuses, elle explore avec passion l'envers de l'Italie de Berlusconi. Le roman se situe en 2001: 2001, l'année du 11 septembre, mais aussi celle de l'avènement de Silvio Berlusconi. Derrière le bling-bling, le mauvais goût et les femmes transformées en objet, les liens affectifs et sociaux se délient. Un premier roman pour une auteure de 26 ans, qui croque un portrait sans complaisance de son pays. Le style est simple, fluide, accrocheur, mais ne cède rien à une certaine authenticité dans sa description d'une génération presque désenchantée. - Anabelle Nicoud

Un jour > David Nicholls, Editions Belfond. 534 pages

Dexter et Emma ont 20 ans. Tout les oppose quand ils se rencontrent à la fin de leurs études sur ce campus britannique. Lui, riche, beau garçon, prêt à croquer dans la vie privilégiée qui l'attend. Elle, rongée par ses doutes, peu sûre d'elle, issue de la classe moyenne. Elle est bourrée de complexes, il ne doute à aucun de moment de lui. Et pourtant, ils se rencontrent et s'aiment, un jour qui va changer leur vie. Les prémices du roman de David Nicholls font craindre le pire. Tout comme sa réputation de best-seller européen, qui doit bientôt être adapté au grand écran. On craint le roman à l'eau de rose, mais heureusement, cette peur s'envole dès les premières pages du livre. La traduction de Karine Reignier a gardé le sens de l'incisif de David Nicholls. Le portrait des deux jeunes amants, amis, puis amants devient rapidement celui de l'Angleterre de l'après-Thatcher. David Nicholls sait parfois se faire féroce, mais il n'en parvient pas moins à donner chair à deux êtres qui s'aiment, le savent dès le premier moment, mais l'oublient. Aussi inattendu que la vie elle-même, le roman sait rester réaliste, brosser le portrait de deux êtres imparfaits, qui vivent un amour total. L'histoire de cette passion nous passionne et on la lâche avec beaucoup de difficulté Un jour. David Nicholls parvient de plus à conclure son roman dans la surprise. Certes, Un jour est loin de révolutionner la littérature contemporaine. Mais il serait dommage de bouder le plaisir évident que confère cette lecture touchante et intelligente.- Anabelle Nicoud

Des adhésifs dans le monde moderne > Marina Lewycka, Alto, 579 pages

Il y a d'abord eu Une brève histoire du tracteur en Ukraine, puis Deux caravanes. Cultivant l'art du titre bizarroïde, Marina Lewycka nous revient avec Des adhésifs dans le monde moderne. Une nouvelle page de «sa» comédie humaine, qui se conjugue sur le mode doux-amer. On traverse le roman en équilibre entre le drame et la comédie. Il faut être un véritable artiste pour jongler de ces deux tons sans que l'ensemble ne s'écrase. Marina Lewycka est une artiste. Elle raconte ici Georgie. Georgie que son mari vient de quitter. La goutte qui a fait déborder le vase: la pose d'un porte-brosse à dents. Ça ne s'invente pas. Ou plutôt, oui. Bref, Rip, c'est le mari, s'en va. Laisse ses affaires derrière lui. Georgie jette le tout dans une benne. Entrée de Mrs. Shapiro. Vieille juive excentrique qui vit dans une grande maison délabrée avec ses chats - et les trésors qu'elle trouve dans les «poubelles». Les deux femmes se lient d'amitié. D'un genre d'amitié. Et quand l'aînée est hospitalisée, la plus jeune se charge de voir clair dans le jeu des agents d'immeubles intéressés par sa demeure. C'est ainsi, en voulant donner du pimpant aux vieux murs, que Georgia découvre le passé noir Holocauste de vieille dame et, grâce à un ouvrier appelé Mr. Ali, s'ouvre à des pans inattendus du conflit israélo-palestinien. Et... c'est drôle, ça? Ce l'est. Parfois. Quand il le faut. Parce que Marina Lewycka a créé des personnages juste assez décalés pour pouvoir porter beaucoup, mais sans lourdeur. Attachants, ces Adhésifs. - Sonia Sarfati

DES POLARS QUI NOUS ONT PASSIONNÉS

La mort muette > Volker Kutscher, Seuil (policiers), 670 pages

Berlin 1930. La capitale allemande est au centre d'une révolution culturelle : l'arrivée du cinéma parlant. Dans des studios rustiques transformés pour y capter de l'image et, désormais, du son, un projecteur se détache du plafond et tue une jeune actrice promise à un brillant avenir. L'inspecteur Gereon Rath est dépêché sur les lieux pour constater ce qui, de prime abord, a tout l'air d'être un accident. En même temps, Rath s'intéresse de loin à une série de meurtres qui a lieu à Düsseldorf, dans la région voisine qu'il a dû quitter en disgrâce l'année précédente dans des circonstances expliquées davantage dans Le poisson mouillé, premier livre de la série. Outre les balbutiements de la révolution culturelle du cinéma parlant, il se trame une révolution politique sur le point d'emporter toute la société allemande. Gereon Rath s'y trouve parfois aux premières loges. Ses collègues et lui doivent aussi enquêter sur les actes de certains SA dont un dénommé Hermann Göring. D'autres collègues, quant à eux, ne sont pas insensibles aux propositions du parti national-socialiste. Au rythme d'une année par roman, on peut facilement deviner que l'inspecteur Rath, être plutôt apolitique, sera amené à choisir son camp. C'est dans ce contexte rappelant la trilogie de Philip Kerr qu'évolue l'univers présenté par le journaliste et historien Volker Kutscher. Mais ce deuxième roman de la série pèche par les mêmes défauts que le premier: l'histoire est un peu longuette et le contexte bouillonnant du Berlin de 1930 n'y est pas aussi bien rendu qu'on l'espérerait. Pour l'instant du moins, ce n'est qu'une toile de fond. Cela dit, La mort muette est un bon polar et fera passer d'agréables moments aux lecteurs qui n'auront pas peur d'une brique de 670 pages. - Daniel Dubrûle

L'armée furieuse > Fred Vargas, Vivane Hamy, 426 pages

Avec son mélange d'ironie légère, de légendes séculaires et d'intrigue bien ficelée, le nouveau Fred Vargas se déguste lentement, avec un sourire en coin. On y retrouve le commissaire Adamsberg et tous les membres de sa brigade, enrôlé un peu malgré lui dans une enquête dans la Normandie profonde. À Ordebec, Nina, membre de la fratrie «maudite» du village, a vu passer l'armée furieuse - que le commissaire, toujours aussi mauvais avec les mots, déforme en «armée curieuse». Trois hommes qui ont beaucoup à se reprocher font partie des «saisis» du terrible Seigneur Hellequin. Ils sont en danger, selon la croyance millénaire du coin, ainsi qu'un quatrième, que Nina n'a pu identifier. La prophétie semble se confirmer : les corps commencent à tomber, une vieille dame se fait sauvagement agresser, la suspicion envers Nina et ses frères monte. Adamsburg essaie de démêler l'écheveau tout en pilotant à distance l'enquête sur la mort d'un puissant industriel français, brûlé vif dans sa voiture, et en protégeant le principal suspect, Momo-mèche-courte. À coup d'intuitions, d'obsessions et d'observations, secondé par son équipe de choc et un policier local descendant d'un grand général napoléonien, Adamsburg émerge parfois de sa brume pour arriver à comprendre ce qu'il a sous le nez. Au passage, on en apprend sur les liens entre l'aristocratie, la finance et la justice, on analyse la différence entre un cloporte, une araignée et un insecte, et on comprend le génie de l'orthographe inversée - maîtrisé par Hippolyte, un des membres les plus inquiétants de la fratrie- et ses dérivés: connard devient drannoc, et l'adjectif drannocien suit comme une évidence. Malgré quelques trous et une fin qu'on voit un peu venir, L'armée furieuse est un réel plaisir de lecture. - Josée Lapointe

La nuit la plus longue > James Lee Burke, Rivages, 476 pages

La nuit la plus longue, de James Lee Burke, est le 16e roman de la série des enquêtes de Dave «Belle Mèche» Robicheaux. C'est aussi un chef-d'oeuvre! L'action se passe à l'été de 2005, alors que l'ouragan Katrina s'abat sur le sud de la Louisiane et dévaste La Nouvelle-Orléans. Burke fait une description saisissante de la situation apocalyptique dans laquelle se retrouvent les habitants. Une grande partie de la ville est détruite, les victimes et les réfugiés se comptent par milliers, alors qu'explosent toutes les formes de violence dont le pillage, le viol et des fusillades meurtrières. C'est dans ce contexte que Robicheaux est chargé d'élucider deux meurtres commis dans un quartier riche. Deux jeunes pillards noirs ont été abattus après s'être imprudemment attaqués à la demeure d'un puissant mafieux. Leurs complices se sont enfuis avec le butin (dont une cargaison de diamants) et le gangster a lancé ses hommes à leur poursuite. Avec l'aide de Clete Purcell, Robicheaux (qui a mis en veilleuse ses problèmes d'alcoolisme) se lance dans la mêlée et se trouve confronté à un dénommé Ronald Bledsoe, un individu redoutable, plus dangereux que tous les criminels qui écument la cité en ruine. James Lee Burke nous entraîne dans une aventure hallucinante qui raconte la destruction d'une ville, la détresse de ses habitants livrés à eux-mêmes, la faillite des autorités et les carences du gouvernement. Ce polar raconte une histoire envoûtante, peuplée de personnages inoubliables profondément humains et qui vous hantent longtemps! - Norbert Spehner, collaboration spéciale

DES ROMANS INTELLIGENTS QUI NOUS ONT STIMULÉS

Un livre à soi > Francis Scott Fitzgerald, Éditions Les belles lettres, 320 pages

Les lecteurs de Gatsby le magnifique et Tendre est la nuit trouveront vite leurs repères dans ce recueil d'articles inédits, notamment «Comment vivre avec 36 000 dollars par an», texte dans lequel Fitzgerald expose des préoccupations domestiques sur le ton de la conversation badine. L'écrivain américain ne s'est pourtant pas contenté d'exploiter ce filon, si plaisant soit-il, dans les nombreux articles qu'il écrivait pour les journaux. Les textes suivants laissent place à un observateur lucide de son époque, qui étonne par sa maturité et son sérieux. On le découvre bien sage, celui qui, à 25 ans, remarque: «Plus je vieillis, plus j'en viens à ne rien savoir.» Au fil de ces courts essais se dessinent les contours biographiques de l'emblème de la «génération perdue». Fitzgerald raconte le boom économique puis la Grande Dépression, de la fête éternelle à «l'impression que tout l'alcool a été bu». Il évoque les femmes libérées, l'éducation des enfants («je veux qu'ils sachent la vérité - à savoir qu'ils sont perdus dans un monde étrange»), la fidélité conjugale, le travail d'écrivain, la jeunesse dorée... avec une acuité d'analyse et un style d'une élégance quelque peu désuète, qui donne le ton de ces années que Fitzgerald sait si bien rendre mythiques. Si les textes de fin de vie sont porteurs d'une nostalgie profonde, l'écriture conserve son panache car, écrit l'auteur de Tendre est la nuit, «on devrait être capable de voir que les choses sont sans espoir et cependant déterminé à les faire changer». C'est manifestement dans cette logique que l'éditeur a (dés) ordonné les textes, évitant l'émotion facile de la plongée progressive vers la fin tragique. - Marielle Bedek

Vies de Job > Pierre Assouline, roman, Gallimard, 2011, 493 pages

Parti sur les traces du «plus fameux accablé des Écritures», Pierre Assouline découvre un Job judaïsé, christianisé, islamisé ou poétisé selon ses lecteurs en quête de sens face à l'injuste souffrance des innocents. Loin d'être aride, l'enquête prend la forme du reportage où le biographe se met lui-même en scène, joignant l'introspection à l'immense savoir compilé au sujet du personnage mythique. Au fil de ses rencontres avec les «jobologues» de toutes les époques et tous les coins du monde, Assouline amène vers nous cet anonyme vieux de vingt-cinq siècles. Job est examiné dans la vie de Voltaire, Ionesco ou Camus, chacun y allant de sa lecture de l'infidélité de Dieu à son plus loyal serviteur. La punition arbitraire infligée à Job devient la «pierre de touche de l'absurde» et son histoire, celle de la souffrance selon les âges dont il se fait le reflet. Le Job patient, pieux, résigné et fataliste fut l'idéal des chrétiens et des juifs jusqu'à la Renaissance pour devenir champion de la raison contre le dogme à l'âge des Lumières, victime d'un monde absurde et cruel pour la modernité et un sage en Israël qui en connaît sur le chapitre des sacrifices d'innocents. En face de l'incompréhensible souffrance, Assouline ouvre son propre jardin, se confiant sur la mort de son frère et les moyens trouvés pour traverser l'épreuve. La parabole devient alors une histoire humaine dans laquelle chacun peut se voir. Les Vies de Job dans ce journal d'un chercheur se lisent comme un roman et se digèrent lentement comme un long voyage agissant longtemps en nous. - Elsa Pépin, collaboration spéciale

L'art de voler > Antonio Altarriba et Kim, Denoël Graphic, 215 pages

«Mon père s'est suicidé le 4 mai 2001», commence Antonio Altarriba. C'est le fils qui tient la plume, mais très vite, son «je» devient celui d'un autre. Il ne raconte pas la vie de son père telle qu'il l'a vue et comprise, mais prétend le faire comme que celui-ci l'a vécue. Une vie d'aventure, qui se lit comme une traversée du XXe siècle en Espagne: guerre civile, dictature franquiste, luttes idéologiques (communisme, anarchisme, fascisme), Seconde Guerre mondiale, Résistance et retour à une démocratie capitaliste. Originaire d'un village situé dans la province de Saragosse, Antonio Altarriba (père) n'a jamais eu l'âme campagnarde. Son rêve, c'était de conduire des bagnoles. Ce fut son sauf-conduit non pas vers la liberté - longtemps, il a été ballotté d'un conflit armé à un autre -, mais en quelque sorte son salut. Ses qualités de chauffeur lui ont évité de porter une arme et de faire feu sur ses semblables - ce qu'il refusait -, alors que ses talents de tireur en auraient fait un redoutable sniper. L'art de voler n'a ni l'envergure ni la force dramatique de Maus d'Art Spiegelman. Son propos est à la fois plus personnel et surtout plus complexe sur le plan politique. Mais cette consistante bande dessinée romanesque au style réaliste constitue à la fois une leçon d'histoire et d'humanisme. Et il pose une question importante: comment continuer à vivre lorsque nos idéaux ont été vaincus? En cette ère où les rêves collectifs se désagrègent sous la pression des désirs individuels, la question s'avère terriblement pertinente. - Alexandre Vigneault