Linden MacIntyre est un nom bien connu du «ROC» (Rest of Canada). Reporter et animateur de l'émission d'enquête The Fifth Estate (diffusée à la CBC), documentariste et cinéaste, ce vieux routier du journalisme d'enquête se frotte aussi parfois à la fiction. En remportant en 2009 le prix Giller pour son second roman, The Bishop's Room (dont la traduction française La chambre de l'évêque vient d'arriver en librairie), MacIntyre a causé une petite commotion dans le circuit littéraire canadien-anglais.

«Quand le roman est sorti, plusieurs personnes craignaient un énième bouquin abordant de façon scabreuse les perversions commises par certains membres du clergé. Mais en lisant de manière plus attentive, ils ont été forcés de constater que le roman explore plutôt les conséquences des agressions sexuelles et la question de la responsabilité de l'Église. En écrivant ce livre, j'ai voulu ouvrir la discussion sur ce sujet délicat», souligne Linden MacIntyre, joint par téléphone à Terre-Neuve, où il était en plein tournage pour The Fifth Estate.

Journaliste épris de nuances - «la bonne fiction, comme le bon journalisme, doit d'abord rapporter la vérité et décrire la réalité» -, Linden MacIntyre réussit dans ce second roman la délicate tâche de raconter sans sensationnalisme le récit de Duncan MacAskill, prêtre imparfait mais habité d'une droiture morale dont la tâche est de masquer les fautes de certains prêtres agresseurs.

Né à Terre-Neuve et ayant grandi au Cap-Breton - en 2005, il a publié Causeway: A Passage from Innocence, où il faisait le récit de son enfance -, MacIntyre s'est inspiré de l'histoire d'un jeune homme du Cap-Breton qui, dans les années 90, a mis fin à ses jours.

«Certaines rumeurs disaient qu'il aurait été agressé sexuellement par un de ses oncles pédophiles, qui était un prêtre réputé pour avoir déjà agressé de jeunes filles et jeunes garçons», relate l'auteur de La chambre de l'évêque, qui voulait absolument éviter de verser dans la caricature dans la construction des situations et des personnages.

«Tout n'est pas noir ou blanc dans ce genre de situations», affirme le journaliste, qui a choisi de camper l'histoire du père Duncan MacAskill et de son implication dans une affaire d'agression sexuelle sur un jeune adolescent au milieu des années 90.

«C'était une époque où l'église n'était plus totalement dans le déni de ses problèmes. Il y avait eu des révélations, des cas médiatisés de prêtres envoyés en prison. On entendait alors les évêques se confondre en excuses, en promettant de dédommager les victimes. Mais dans la réalité, on ne commençait qu'à gratter la surface de cet immense problème.»

Reporter qui, dans les années 70, s'est beaucoup intéressé à l'Amérique latine, Linden MacIntyre a croisé plusieurs de ces jeunes religieux engagés dans une «théologie de libération» et très actifs politiquement. Sa connaissance profonde du climat des histoires de petits villages des Maritimes a aussi nourri son inspiration.

«Je voulais écrire sur des endroits que je connais bien. J'ai essentiellement utilisé des éléments inspirés de faits réels», évoque l'auteur, qui s'est heurté à un refus catégorique chez tous les évêques qu'il a voulu interviewer. «L'Église aujourd'hui est devenue une institution hyper politique. L'ère de Jean-Paul II, quoi qu'on en dise, se révèle l'une des époques les plus sombres de l'histoire.»

Plusieurs victimes

Au début des années 70, le jeune prêtre MacAskill rapporte une scène à laquelle il a assisté bien malgré lui, impliquant un membre du clergé dans une situation compromettante avec un jeune fidèle. L'évêque choisit d'étouffer le scandale en l'envoyant en mission au Honduras. À son retour au pays, le père MacAskill devient son bras droit et est nommé doyen d'une université. Son nouveau mandat: «nettoyer» les situations embarrassantes afin d'éviter à tout prix les scandales...

Deux décennies plus tard, les fantômes de ses années au Honduras accompagnent le père Duncan jusqu'à la petite communauté de Creignish, où il reçoit les confessions des villageois et anesthésie ses angoisses avec l'alcool et la compagnie d'une attirante paroissienne.

La description, dans La chambre de l'évêque, d'une situation où un adolescent rapporte avoir subi une agression est prétexte pour évoquer la détresse des victimes. «Les effets des agressions sur des jeunes personnes sont profonds et causent des dommages extrêmes. Mais elles ne sont pas les seules victimes. Les «bons» prêtres sont aussi des victimes, parce qu'ils sont désormais l'objet de mépris et sont contraints de marcher la tête basse. Sans parler des offenseurs eux-mêmes, qui auraient dû être écartés de la prêtrise, alors que l'Église s'est contentée de camoufler leurs gestes en les envoyant dans d'autres paroisses.»

Cela étant dit, Linden MacIntyre se défend d'avoir écrit un roman anticatholique. «J'ai un grand respect pour les personnes qui ont la foi, même si je ne suis pas croyant. Je reconnais que la religion aide des gens à vivre. Mais j'aimerais que des catholiques le lisent en étant attentifs à l'histoire qui y est racontée. Parce que cette institution a aussi accueilli dans ses rangs des individus qui étaient en quête de pouvoir et de richesse et ont profité de la vulnérabilité des autres.»

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La chambre de l'évêque

Linden MacIntyre

Libre Expression, 295 pages