Dès le départ, on sentait bien, la rumeur aidant, que le passage de Fred Pellerin au Théâtre du Rond-Point à Paris allait être un événement. Mais à ce point? Même le conteur n'en revient pas: «Il s'est vraiment passé de quoi! Ca a pété au frett!».

Le lutin de Saint-Elie-de-Caxton a tenu l'affiche dans la seconde salle de l'ancien théâtre du couple Renaud-Barrault (200 places) pendant cinq semaines, y donnant «L'Arracheuse de temps» à 25 reprises. Il a fait un triomphe, gagnant au passage le cur du public français.

Situé sur l'avenue des Champs Elysées, le Rond-Point est une des meilleures salles de la capitale française, avec sa bonne programmation et son restaurant à la mode, pas exactement le genre d'endroits où on s'attend à croiser un «conteux».

Mais à Paris, on connaît aussi le flair du patron du Rond-Point, le multiple Jean-Michel Ribes. Une partie de la presse était aussi acquise à la cause du Québécois. C'était le cas de L'Express, qui parlait, avant même la première représentation, du «spectacle plus drôle de l'année». Ou de La Croix, fan de la première heure, qui incitait aussi ses lecteurs à ne pas rater Pellerin: «Courez le voir. Soyez de ceux qui pourront dire un jour qu'ils l'ont vu à ses débuts».

«C'est un peu comme si Zazie avait déserté le métro pour le village québécois de Saint-Elie-de-Caxton», a écrit de son côté Le Journal du dimanche. Puis France Inter (l'équivalent de la radio de Radio-Canada) a craqué à son tour, sans parler du gros journal télévisé de 13h dont Fred Pellerin a été l'invité en direct!

Du coup, on s'est mis à faire la queue devant le théâtre pour avoir des places, ce qui est un «maudit beau problème», comme disait Pellerin. Au bout d'une dizaine de soirs, le conteur s'est retrouvé devant des salles archicombles et branchées.

Prenons jeudi soir dernier: on apercevait dans le public un célèbre agent d'artistes devenu producteur, le discret Julien Clerc ou encore Patrick de Carolis, le numéro 1 de France télévision (c'est-à-dire des cinq chaînes publiques), venu un peu par hasard, avec son épouse, sans qu'on ait eu besoin de les solliciter.

«J'en ai entendu parler. J'ai lu un article dans la presse. J'ai eu envie de le voir. J'ai vraiment beaucoup aimé. Il est drôle et émouvant à la fois. C'est puissant», a confié M. de Carolis en sortant du spectacle.

Dans la salle se trouvait aussi Marie-Christine Saragosse, la grande patronne de TV5 Monde, pleurant à chaudes larmes, «émue par le cri du cur de Fred Pellerin pour la langue française».

Le conteur, qui donnait son dernier spectacle samedi soir, flottait sur un nuage.

«J'en reviens pas», disait-il, en sautillant de joie. Il est vrai qu'au terme de ces cinq semaines de représentation, Pellerin était comme chez-lui au Rond-Point, «jazzant» avec les mots avec aisance, devant un public mort de rire, sans que la langue ou l'accent ne soient un obstacle.

«J'ai fini par trouver les bons «'springs», tout en restant moi-même et en gardant ma langue, disait-il en entrevue. J'ai compris aussi que quand les Français ne comprennent pas un mot, je ne le dis pas. C'est pas la peine de dire «'gogosse» ou «'cossins» si «'ramassis « est mieux compris.»

Pellerin, qui a aussi reçu au Rond-Point la visite d'amoureux de langue comme Jacques Higelin et Richard Desjardins, n'entend pas s'arrêter en si bon chemin. En février et mars, il sera de retour en Europe pour une tournée en Belgique et en France. En juin, il retrouvera Paris, dans une salle un peu plus grande, de la taille de l'Européen par exemple. Il doit encore revenir à l'automne, montera encore d'un cran.

«On fait comme au Québec, étape par étape», explique sa productrice Micheline Sarrazin.

Et comme au Québec, on ne sait pas où ça s'arrêtera.