(Londres) L’envolée des cours du nickel, aggravée par la crise en Ukraine, a pris des proportions inédites mardi sur la Bourse des métaux de Londres, où les échanges ont été suspendus, des conséquences sur la transition énergétique étant par ailleurs redoutées.

Que s’est-il passé pour que le prix quintuple en un an et dépasse 100 000 dollars la tonne pour la première fois de son histoire ?

Quel poids pour Russie ?

Le nickel avait déjà le vent en poupe avant l’invasion de l’Ukraine : la perturbation des chaînes de production par la pandémie de COVID-19 avait fait diminuer l’offre.

Et si ce métal est historiquement utilisé pour produire de l’acier inoxydable, sa présence dans les batteries de véhicules électriques en fait aussi une ressource précieuse pour la transition énergétique.

Face à une demande en hausse, le prix avait déjà augmenté de plus de 30 % en 2019, de 20 % en 2020 puis 25 % en 2021.

Et ce, avant même que les exportations russes, chaînon crucial pour ce marché, ne soient fragilisées par le conflit militaire.  

« La Russie est le troisième producteur de nickel au monde, avec 13 % des capacités minières en 2021 », et « 11,27 % de la production mondiale », commentent Marina Bozkurt et Susan Zou, analystes chez Rystad, dans une note.

Pour l’instant, les sanctions occidentales ne visent pas directement les compagnies minières. Mais certains importateurs hésitent à acheter des métaux russes, de peur de tomber sous le coup d’un embargo après.

Et l’accès aux ports russes est limité.

Mais la hausse du nickel sur les deux dernières séances éclipse celle des autres matières premières dont la Russie est un grand producteur, comme le gaz, le pétrole ou l’aluminium.

Après avoir fini la semaine à un peu moins de 30 000 dollars la tonne, le cours s’est envolé à un plus haut historique lundi, à près de 50 000 dollars, et a repris son ascension effrénée mardi pour dépasser brièvement 100 000 dollars.

Quand les opérateurs du London Metal Exchange ont arrêté les échanges, la tonne s’échangeait pour 80 000 dollars.

Pourquoi le marché perd la tête ?

Les observateurs du marché sont unanimes : il y a eu un mouvement de liquidations forcées de ventes à découvert, plus connu sous son nom anglais de « short squeeze ».

Des investisseurs ont parié que le prix du nickel allait baisser ; pour ce faire, ils se sont engagés à vendre le métal à un certain prix à une date fixe, sans le posséder.

« Ils espéraient donc pouvoir acheter du nickel à un prix inférieur à celui auquel ils allaient le revendre, et ainsi réaliser un bénéfice », détaille Eric Dor, directeur des Études économiques de l’IESEG School of Management.

Quand les prix montent, et même s’ils vont enregistrer une perte, ils sont obligés d’acheter le métal pour clore leur position et respecter les termes de leur contrat, faisant grimper artificiellement les cours et forçant d’autres parieurs à la baisse à faire de même.

Sur le marché des matières premières, les utilisateurs de ventes à découvert sont des producteurs qui cherchent à se protéger de la volatilité des cours.

Pari raté cette fois-ci : selon la presse financière, une banque chinoise d’un des plus grands producteurs du pays paye actuellement le prix fort pour avoir tenté cette manœuvre, et provoque l’essentiel du mouvement démesuré des derniers jours.

Quelles conséquences ?

Pour l’instant, le LME a suspendu les échanges « au moins mardi », précise le groupe dans un communiqué.

Les prix pourraient reculer après ces sommets atteints en début de semaine, car « ils ne sont clairement pas justifiés par les fondamentaux du marché », expliquent les analystes de Rystad.

Mais le cours devrait selon eux rester en forte hausse par rapport au début de l’année, l’offre restant limitée par le conflit en Ukraine.

Les batteries de véhicules électriques vont coûter plus cher à produire, ce qui pourrait ralentir le rythme de la transition énergétique, prévient-il.

Le directeur général de Renault Luca de Meo avait déjà reconnu fin février que la hausse des prix des matières premières pesait sur le groupe.

« On va actionner tous les leviers, notamment sur notre politique de prix », avait-il prévenu.

« Nous ne sommes pas des magiciens, nous ne pouvons pas absorber par de la productivité supplémentaire ces coûts augmentés », avait abondé début mars Carlos Tavares, directeur général du constructeur automobile Stellantis.