Plus d’un an et demi après sa nomination comme PDG de Bombardier, Éric Martel dirige aujourd’hui une entreprise qui est totalement recentrée sur la construction et le développement des jets d’affaires. Moins endettée, avec deux familles d’appareils qui sont reconnues à l’échelle internationale, Bombardier profite depuis le début de l’année d’un marché extrêmement favorable. S’agit-il d’un boom passager, propulsé par la pandémie de coronavirus, ou d’une tendance à plus long terme ? Le nouveau PDG nous explique le chemin parcouru et celui à venir pour Bombardier.

Q. Vous avez été nommé en mars 2020, dans une période assez trouble, merci. Comment avez-vous vécu ce retour chez Bombardier ?

R. L’annonce de ma nomination a été faite le 13 mars, le jour même de l’annonce du confinement et ça n’a pas fait la manchette bien longtemps. Je suis rentré en fonction le 6 avril et il y avait beaucoup de travail à faire. Beaucoup de transactions à finaliser du côté des avions commerciaux et de Bombardier Transport.

Q. Ces transactions avaient quand même été annoncées avant votre arrivée, non ?

R. Oui, mais la COVID risquait de menacer la conclusion des ententes. Finalement, on a pu clore la vente des avions commerciaux CRJ à Mitsubishi en juin 2020 puis celle de l’usine de Belfast à Spirit Aerospace en octobre avant de finaliser la vente de Bombardier Transport à Alstom en janvier 2021. Ces transactions ont permis de mettre de la clarté auprès des marchés sur la direction qu’on allait prendre.

C’est là que j’ai annoncé en mars 2021 notre nouveau plan de match. On arrêtait la fabrication des Learjet et on concentrait nos activités dans trois gammes de produits : les Global, les Challenger et notre réseau de centres de services et de soutien.

Q. Ces transactions vous ont aussi et surtout permis de réduire votre dette. Êtes-vous satisfait du fardeau quand même important que vous devez continuer à supporter ?

R. Oui, absolument. On a réduit notre dette de 3 milliards pour la ramener à 7 milliards et on a profité d’un marché très avantageux pour la renégocier et repousser à décembre 2024 le premier échéancier de remboursement. Avec les liquidités excédentaires qu’on dégage, on va être largement en mesure d’y faire face.

Nos objectifs financiers sont d’améliorer notre bénéfice d’exploitation qui devra atteindre 1,5 milliard d’ici 2025. On a aussi réussi à diversifier notre carnet de commandes de plus de 11 milliards avec davantage de commandes de Challenger.

Q. À cet égard, est-ce que vous convenez que la COVID-19 a joué en votre faveur en relançant le marché des jets d’affaires ?

R. La COVID a eu un effet accélérateur, c’est certain. Au début de la pandémie, beaucoup d’opérateurs de flottes s’inquiétaient et pensaient devoir annuler leurs commandes de nouveaux appareils.

À partir de l’été, alors que les lignes aériennes avaient abandonné plusieurs liaisons, la demande pour les vols nolisés a fortement augmenté et la demande des opérateurs de flottes a été depuis en forte hausse et nous a permis de diversifier notre carnet de commandes.

Seulement 19 % des gens riches qui ont largement les moyens d’utiliser des jets privés le font et c’est pour cette raison que les opérateurs comme NetJets, VistaJet ou Flexjet ont découvert beaucoup de nouveaux utilisateurs qui préféraient la sécurité d’un voyage en famille plutôt que de le faire dans un avion avec 200 passagers.

Avant la pandémie, on avait un taux de 16 % de nouveaux clients fortunés. Ce taux est passé à 24 % aujourd’hui.

Q. Vous avez livré récemment votre 1000e avion Global qui constituait l’essentiel de votre carnet de commandes et maintenant, vous recommencez à livrer des Challenger. Comment expliquez-vous le regain de popularité de ces appareils ?

R. Le Challenger est un avion davantage acheté et utilisé par les grandes entreprises et il est plus exposé à la volatilité parce que lorsqu’il y a une récession, elles les utilisent moins. Présentement, c’est l’euphorie dans les jets d’affaires.

Q. Est-ce qu’il s’agit d’un phénomène passager en raison de la pandémie ou d’une tendance plus lourde qui pourrait perdurer ?

R. La tendance est assez lourde et va se poursuivre l’an prochain, mais après ça, on ne le sait pas et c’est la raison pour laquelle on n’augmente pas la cadence de production et que l’on va continuer de construire 120 ou 130 avions par année.

Cela nous permet d’avoir de meilleurs prix et de renforcer notre carnet de commandes, mais si on n’est pas capables de livrer un Challenger dans les 12 à 15 mois suivant la commande ou de 16 à 18 mois pour un Global, c’est sûr qu’on devra revoir la cadence. On a déjà fabriqué jusqu’à 200 appareils par année.

Q. Vous misez beaucoup sur les activités de services et de soutien aux usagers, elles sont même devenues une troisième division en bonne et due forme. Vous voyez là un grand potentiel ?

R. On a été clairs dans nos prévisions, on s’attend à ce que nos activités de services, qui génèrent aujourd’hui 1,2 milliard de revenus, atteignent 2 milliards au cours des prochaines années. On a cinq centres aux États-Unis, deux en Europe, deux en Asie et on en ouvre un prochainement en Australie et probablement au Moyen-Orient.

Ces activités génèrent des marges intéressantes et elles résistent aux récessions. On a 5000 avions qui volent, 1000 Global, 2000 Challenger et 2000 Learjet qui doivent être entretenus et révisés régulièrement. On vient de tripler la grosseur de notre site d’entretien à Singapour et de multiplier par quatre fois celui de Miami.

Q. On critique beaucoup l’empreinte environnementale des avions d’affaires et les risques que leur multiplication peut entraîner. Comment allez-vous réduire cette empreinte ?

R. On s’est engagés à réduire de 50 % nos émissions et on travaille là-dessus. Près de 90 % de nos budgets de recherche et développement sont investis à cette fin. Ce n’est pas juste l’affaire des motoristes, on travaille sur la forme des avions, sur l’utilisation de systèmes électriques pour réduire le poids.

Tous nos avions d’affaires peuvent utiliser des carburants durables, des biocarburants. Juste ça peut réduire de 30 % nos émissions de CO2. C’est pourquoi on pousse les aéroports à les rendre disponibles pour nos clients. Ici à Montréal, on n’utilise que des biocarburants.

Q. Après un an et demi aux commandes de Bombardier quel est l’accomplissement dont vous êtes le plus fier ?

R. On a stabilisé l’opération, on s’en va vers les 14 000 employés et la qualité de nos produits permet de faire rayonner le savoir-faire de Montréal à l’international. Le Global 7500, c’est le vaisseau amiral de toute l’industrie des avions d’affaires, pas juste de Bombardier. C’est l’avion qui vole le plus haut, le plus loin et le plus vite au monde et c’est fait chez nous.

En recentrant nos activités, on est devenus une entreprise plus facile à gérer. Quand j’ai 1 $ à investir, je n’ai pas à choisir entre 12 activités, c’est dans les avions d’affaires que je le fais.