Les nouveaux adeptes vont-ils renouer avec leurs anciennes habitudes après la pandémie ?

Les voyageurs s’habituent rapidement au confort des jets privés lorsqu’ils ont le privilège de voler à bord de ces appareils. Cette industrie ne cesse de prendre de l’altitude grâce à la pandémie. Alors que des habitués de la classe affaires des vols commerciaux font partie des nouveaux adeptes, certains se demandent s’ils renoueront avec leurs anciennes habitudes.

Cette clientèle est névralgique pour de grandes compagnies aériennes comme Air Canada, Delta Air Lines, Air France et Lufthansa, pour ne nommer que celles-là.

Plus disposés à délier les cordons de la bourse, ces voyageurs peuvent représenter entre 55 et 75 % des profits des transporteurs, même s’ils ne représentent que 10 % des passagers, selon des données du cabinet de conseil en stratégie McKinsey.

Les constructeurs de jets d’affaires comme Bombardier, Gulfstream et Textron ont engraissé leurs carnets de commandes, puisque les ultrariches se sont tournés vers ce mode de transport pour se déplacer.

Parallèlement, des voyageurs bien nantis, mais qui n’ont pas les moyens de s’offrir un avion privé, se sont tournés vers des opérateurs comme VistaJet, NetJets, Flexjet et XO. Ces entreprises louent des appareils à des taux horaires généralement supérieurs à 1000 $ US ou offrent des sièges dans des jets.

PHOTO FOURNIE PAR VISTAJET

Leona Qi, présidente des activités américaines de VistaJet

« Au troisième trimestre, le volume de vols était en hausse de 19 % par rapport à la même période en 2019, avant la pandémie, a souligné Leona Qi, présidente des activités américaines de VistaJet, au cours d’une entrevue avec La Presse. Plus de 70 % de l’augmentation de volume émane de clients qui n’étaient pas des habitués. »

VistaJet exploite actuellement une flotte de 80 jets d’affaires Bombardier. Elle comptera 16 appareils de plus à la fin de 2022.

Pour 2021, la firme d’analyste et d’information sur l’aviation WingX anticipe une hausse de 6 % de l’activité par rapport au volume enregistré en 2019, année où le marché a finalement dépassé les niveaux record en 2008.

Cette tendance pourrait se poursuivre avec les craintes entourant le variant Omicron. Mais dans l’industrie, on s’attend à ce que certains clients retournent vers les grands transporteurs quand le trafic international finira par reprendre du poil de la bête.

« Les compagnies aériennes deviendront en quelque sorte des concurrentes avec nous pour tenter de ramener ces voyageurs en classe affaires », observait le président et chef de la direction de Bombardier, Éric Martel, le 28 octobre dernier, au cours d’une conférence téléphonique avec les médias.

Des avantages coûteux

Les compagnies aériennes n’ont pas dit leur dernier mot pour démontrer qu’elles font des efforts pour atténuer les risques d’infection. Par exemple, des trousses de désinfection sont offertes à leurs frais.

Malgré tout, le taux de rétention des nouveaux clients devrait demeurer élevé, croit-on dans l’industrie. Aux États-Unis, seulement 10 % des personnes qui pouvaient se permettre de voyager à bord de jets privés le faisaient.

« C’est un énorme marché qui n’est pas servi, a affirmé le président du service et du marketing de NetJets, Patrick Gallagher, au cours d’un récent entretien avec La Presse. Je suppose qu’elles [les compagnies aériennes] le feront [tenter de reconquérir les voyageurs d’affaires]. Tout dépendra de ce qu’elles feront pour offrir une valeur différente pour ces sièges en première classe. »

Si l’aviation d’affaires prend de l’altitude, les prix demeurent néanmoins beaucoup plus élevés. Chez VistaJet, par exemple, les tarifs peuvent être au moins 30 fois plus élevés qu’un billet en classe affaires.

L’économie de temps est notable. Les voyageurs peuvent éliminer plusieurs étapes à franchir lorsqu’on se rend à l’aéroport. Ils peuvent aussi se rendre à destination sans escale.

« Dans un terminal privé, il y a environ 20 points de contact, illustre Mme Qi. Lorsque vous optez pour une compagnie [aérienne], c’est environ 700 points de contact. Un vol commercial est programmé. Peu importe l’heure et l’endroit, c’est le cas. Il n’y a pas de flexibilité. »

Durable ?

Brian Foley, de la firme Brian Foley Associates, fait partie des analystes qui croient que la concurrence risque de s’intensifier entre les compagnies aériennes et l’aviation d’affaires.

Il sera toujours plus cher de monter à bord d’un jet privé, mais de plus en plus de personnes tentent l’expérience, souligne l’analyste.

Le mot s’est passé. Je crois que nous atteignons le pic [en matière d’activité]. Pour l’instant, les compagnies aériennes sont affaiblies. Elles n’ont pas encore les moyens de contre-attaquer.

Brian Foley, de la firme Brian Foley Associates

De son côté, Isabelle Dostaler, doyenne de la faculté d’administration des affaires de l’Université Memorial, à Terre-Neuve, voit les deux secteurs rivaliser, mais se demande pour combien de temps.

Traditionnellement, l’aviation d’affaires est tributaire du contexte économique, mais la pandémie offre au secteur une « meilleure visibilité pour les années à venir », estime l’experte.

Le déficit de liaisons internationales à travers le monde joue aussi en faveur de l’industrie, croit Mme Dostaler.

Qui a les moyens de voler en jet privé ?

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Un Global 7500 de Bombardier

Il faut être bien nanti, mais les profils peuvent varier.

Les ultrariches

Il faut être fortuné pour s’offrir un avion privé. Un appareil neuf peut coûter jusqu’à 75 millions US (comme le Global 7500 de Bombardier). Selon Honeywell, les coûts d’exploitation annuels sont d’environ 4,5 millions US.

Les biens nantis

Ils sont habitués à la première classe sur des vols internationaux, mais ne veulent pas de jets privés. Ils optent pour les opérateurs. Les membres de VistaJet doivent par exemple s’engager pour un contrat de deux ou trois ans. La facture est donc élevée.

Les occasionnels

Ces voyageurs se déplacent moins, donc ils optent pour les compagnies comme XO en réservant un siège dans un avion privé. Le prix d’une place varie selon le trajet. Il faut débourser environ 1200 $ US pour voler entre la Floride et New York.