Le premier ministre du Québec, François Legault, a soufflé une bouffée d’espoir chez des milliers de locataires et de futurs propriétaires lors de son point de presse de lundi, en autorisant la reprise des chantiers de construction domiciliaire à partir du 20 avril, pour tout logement devant être livré avant le 31 juillet.

La reprise des travaux dans les chantiers, abandonnés depuis le 23 mars, devra toutefois se faire sous de nouvelles conditions d’hygiène à respecter et avec l’adoption de nouvelles méthodes de travail ou d’une répartition du travail différente, pour faire en sorte que les ouvriers demeurent à deux mètres de distance les uns des autres.

Lundi, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a mis en ligne un « guide » de pratiques à adopter destiné aux entrepreneurs et un outil de vérification quotidienne de ces directives afin d’en faciliter l’implantation au quotidien, dès la semaine prochaine.

Alors qu’à l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), qui regroupe les entrepreneurs de la construction et de la rénovation résidentielles, on a parlé lundi « d’un excellent premier pas » vers une reprise des activités, les principaux syndicaux sont demeurés réservés.

Dans un communiqué commun, la FTQ-Construction et le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction (International) ont réitéré l’importance de mettre en place des « mesures concrètes pour respecter strictement la distance physique de deux mètres ». Les deux syndicats, qui représentent les deux tiers des travailleurs de la construction au Québec, réclament aussi « des sanctions sévères pouvant aller jusqu’à la fermeture d’un chantier » à l’endroit des entrepreneurs « récalcitrants ».

Le guide publié lundi par la CNESST, élaboré en concertation avec les syndicats et les employeurs du secteur, ne fait pas mention de possibles sanctions en cas de non-respect des mesures.

La loi du far west

Le 23 mars, lorsque le gouvernement du Québec a décrété une « pause » de toutes les activités économiques jugées non essentielles pour limiter la propagation de la COVID-19, des centaines de chantiers de construction résidentielle étaient en activité au Québec.

L’APCHQ estime qu’entre 10 000 et 11 000 logements devaient être livrés d’ici le 1er juillet, dont 6500 locatifs, et qu’une grande partie de ceux-ci ne seront pas prêts à accueillir leur nouvel occupant à la date prévue, à cause des retards occasionnés par la pandémie.

Louis-Michel Raby, que La Presse a joint lundi, a accueilli la nouvelle de la reprise des chantiers résidentiels par un « wow » de soulagement bien senti. Dans les jours qui viennent, sa femme doit accoucher de leur troisième enfant. Leur nouvelle maison, qui devait être prête fin mars, ne sera pas terminée avant la mi-mai, au mieux. Leur maison actuelle est vendue depuis le mois de janvier et, dans le contrat, il est prévu que M. Raby et les siens devaient avoir quitté les lieux d’ici… le 26 avril.

« J’ai demandé au nouveau propriétaire s’il pouvait me louer la maison pour le mois de mai, mais il ne pouvait pas, parce qu’il devait lui-même quitter son logement en raison des travaux de rénovation prévus par le nouvel occupant », explique M. Raby.

« La situation s’est réglée parce que j’ai dit au propriétaire : “Écoute, moi, je bouge pas d’ici et, si tu veux que je parte, ça va prendre un huissier et la police pour me sortir de là avec mon épouse, mes deux jeunes enfants et mon bébé de 2 semaines”. »

Il a réussi à faire retarder son départ, poursuit-il, mais l’expérience le laisse amer.

Ça fait far west. Ça n’a pas de bon sens qu’on en soit rendus à régler les choses de cette façon-là, au Québec, pour être capables de respecter les consignes de santé publique et garder notre famille à l’abri.

Louis-Michel Raby

Il craint que des milliers de personnes n’aient pas autant de chance jusqu’au 1er juillet.

« J’ai réussi à relouer ma maison, mais sur les milliers de logements en construction, il y a des gens qui ne pourront pas faire ça, qui vont se faire mettre dehors de chez eux le 1er juillet, qui vont se retrouver à la rue. Ils vont se retrouver où, ces gens-là ? C’est un vrai problème, et je m’étonne que le gouvernement ne pense pas à ça. »

Éviter la crise

En annonçant la réouverture des chantiers domiciliaires pour le 20 avril, le premier ministre a tout de même clairement affirmé que son gouvernement « ne [voulait] pas ajouter une crise du logement par-dessus la crise qu’on vit actuellement ».

À l’APCHQ, le vice-président aux affaires publiques, François Bernier, croit que le gouvernement a fait le pas qu’il fallait en visant les chantiers dont la livraison était prévue avant le 31 juillet.

« À partir de maintenant, dit M. Bernier, tous les entrepreneurs en construction résidentielle devraient s’enquérir auprès de leurs fournisseurs et de leurs sous-traitants pour savoir s’ils peuvent compter sur le matériel — portes, fenêtres, armoires, etc. — et leur main-d’œuvre au jour 1. Il faut avoir ces renseignements-là pour pouvoir ensuite se tourner vers le client et lui dire, après réévaluation des dates de livraison, ce qu’il en est [de son logement]. »

M. Bernier s’est dit optimiste quant à la capacité de l’industrie de s’adapter aux nouvelles exigences d’aménagement et d’organisation du travail nécessaires pour assurer le respect de la distance de deux mètres entre chaque ouvrier.