Depuis 2003, les milliers d'enfants autistes que compte la province reçoivent tous jusqu'à 20 heures d'intervention comportementale intensive (ICI) par semaine entre l'âge de 0 et 5 ans dans l'un des 22 centres de réadaptation en déficience intellectuelle du Québec. Plusieurs parents estiment que cela permet d'accélérer le développement de leur enfant. Mais, à l'inverse, des experts dénoncent l'inefficacité de cette méthode, le manque de formation des intervenants et le coût élevé du programme: 25 millions par année.

Avec ses grands yeux bruns aux longs cils, ses pommettes saillantes et son grand sourire, Mohammed Assouli a l'air angélique. Mais il y a quelques mois, Mohammed, que tout le monde surnomme Mimo, a été expulsé de sa garderie parce qu'il était trop agressif.

«Il tirait les cheveux. Il frappait, frappait, frappait. Tout le temps», témoigne son père, Badr Assouli.

Exaspérés, les parents de Mimo ont consulté des professionnels et obtenu un diagnostic. Leur fils souffre d'autisme. Parce que la situation de cette famille était critique, le centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI) Montérégie-Est a entrepris rapidement une intervention comportementale intensive avec Mimo. Cette technique, appliquée partout au Québec, vise à accélérer le développement des enfants autistes. Depuis le début de l'intervention, les parents de Mimo sont soulagés. «Notre fils a beaucoup amélioré ses comportements», remarque sa mère, Ilham Mermoucht.

Le nombre d'enfants atteints d'autisme ou d'un trouble envahissant du développement (TED) ne cesse d'augmenter au Québec. En 2003, on en comptait 23 pour 10 000 habitants ; on en recense aujourd'hui près de 70, dont trois fois plus de garçons que de filles.

En 2003, le gouvernement a décidé d'implanter un programme d'aide pour les enfants autistes âgés de 0 à 5 ans, qui prévoit essentiellement le recours à l'intervention comportementale intensive (ICI).

Aujourd'hui, 878 enfants reçoivent chaque année ce type d'intervention, qui coûte 25 millions de dollars par année au gouvernement. Mais ces coûts sont en réalité bien plus élevés puisqu'il faut y ajouter les frais de supervision et de préparation des intervenants. Au seul CRDI Montérégie-Est, le programme ICI coûte 3,5 millions par année. Il y a 22 CRDI au Québec.

«L'ICI est coûteuse parce qu'il faut un intervenant pour un enfant», explique le directeur scientifique du centre d'excellence en troubles envahissants du développement de l'Université de Montréal (CETEDUM), le Dr Laurent Mottron. Ce psychiatre comprend mal que le Québec dépense des sommes aussi astronomiques dans une méthode qui n'a pas du tout fait ses preuves (voir autre texte).

Mais les défenseurs de l'ICI estiment que cette approche est la recette miracle pour intégrer les autistes. «On note des améliorations chez plusieurs enfants avec l'ICI. Si on n'intervient pas en prévention, on va payer beaucoup plus cher plus tard en frais de toutes sortes», affirme le responsable des services d'ICI au CRDI Montérégie-Est, Gilles Lemaire.

La pépite de chocolat

Lundi dernier, La Presse s'est rendue dans la famille de Mimo, à Longueuil, pour assister à une séance d'ICI. Dans une pièce remplie de jouets, l'intervenante, Nathalie Beaudoin, était assise à une petite table en face de Mimo, qu'elle invitait à ouvrir des oeufs en plastique. «Ouvre, Mimo, ouvre», disait-elle en faisant un geste d'ouverture de ses mains. Rapidement, l'enfant a ouvert trois oeufs. «Bravo!» s'est écriée Mme Beaudoin. Puis, elle lui a donné une pépite de chocolat.

Professeure de psychologie à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), Nathalie Poirier explique que l'ICI suit la logique «stimulus, réponse, conséquence». «C'est une méthode d'apprentissage. Quand on demande quelque chose et que l'enfant le fait, on le félicite et on peut aussi lui donner des récompenses.»

C'est ainsi que l'on donne à Mimo des pépites de chocolat pour l'inciter à reproduire les comportements voulus. Éventuellement, ces renforcements alimentaires seront remplacés par autre chose (période de jeu, accès à un jouet intéressant...). Après le jeu de l'oeuf, Nathalie prend Mimo dans ses bras et lui fait la bascule. Mimo éclate de rire, joint ses petits doigts et réclame: «Encore!»

Cette simple demande constitue un pas de géant pour Mimo. «Avant, il ne demandait rien. Il frappait partout. Il ne communiquait pas. On a dû déménager dans un sous-sol parce que ses crises dérangeaient trop les voisins du dessous», témoigne M. Assouli.

«Nous sommes arrivés au Canada il y a six ans. Nous n'avons pas de famille, ici, pas de réseau, dit Mme Mermoucht. Avec Mimo, c'était impossible d'aller au parc pour rencontrer des gens: il attaquait tout le monde. L'an dernier, j'ai même annulé notre voyage au Maroc pour ne pas avoir à le gérer là-bas.»

«On peut maintenant communiquer avec notre fils. Ils l'ont décodé», ajoute le père.

Une lutte de parents

Aujourd'hui âgé de 14 ans, Marc-Antoine a lui aussi reçu des séances d'ICI dans sa jeunesse. Tout petit, il ne pouvait pas rester dans une pièce avec des inconnus sans faire de crise. «Quand on allait dans les toilettes publiques, il hurlait dès que le sèche-mains se mettait en marche», relate sa mère, Carole Ladouceur. À 3 ans, une intervention comportementale intensive a été entamée.

Selon Mme Ladouceur, les progrès ont été remarquables. Aujourd'hui, Marc-Antoine est en troisième secondaire dans une école ordinaire. «J'ai l'impression que l'ICI fonctionne avec la majorité des enfants. Un peu comme la chimiothérapie, ça ne permet pas de guérir tout le monde. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas la donner à tout le monde.»

En 2000, Mme Ladouceur a intenté un recours collectif contre le gouvernement du Québec pour l'obliger à offrir l'ICI à tous les autistes. Même si les tribunaux ont décidé que ce n'était pas un traitement médical nécessaire, plusieurs gouvernements ont décidé depuis de payer pour l'ICI, dont le Québec.

Selon le président de l'Association ABA Québec, Marc Lanovaz, l'ICI est la seule approche qui a montré des améliorations sur le comportement des enfants atteints de TED. «Entre 45% et 47% des enfants qui la suivent peuvent avoir un comportement typique à 6 ans», dit-il.

«En 2009-2010, il y avait 7600 enfants d'âge scolaire atteints de TED au Québec. C'est le handicap le plus répandu, et il est en hausse de 24% par année. On ne veut pas parler d'épidémie, mais ce n'est pas loin. Il faut faire quelque chose», ajoute Normand Giroux, professeur de psychologie à l'UQAM.

Directrice générale de la Fédération québécoise des CRDI, Diane Bégin est plus nuancée. Selon elle, le Québec a opté pour l'ICI parce que c'était la seule façon de servir une clientèle sur-le-champ: «C'est une exception qu'on ne devrait pas reproduire. Il n'y avait pas de consensus autour de l'ICI. Mais un comité-conseil a décidé d'imposer une technique clinique uniforme.»