Le projet de compteurs et d'optimisation du réseau d'eau de la Ville de Montréal coûte une «fortune», a déclaré Michel Chevalier, un expert qui a été consulté par la firme BPR pour préparer l'appel de proposition, au cours d'une entrevue avec La Presse. M. Chevalier, considéré comme une sommité en gestion de l'eau au Canada, est responsable des compteurs d'eau à la Ville d'Ottawa.

Lorsque La Presse a évoqué la possibilité que les prix du contrat de 355 millions de dollars accordé à la firme GÉNIeau soient gonflés, M. Chevalier a déclaré ceci: «Ça fait longtemps que je le dis. Je leur ai dit à la Ville de Montréal, avant que le projet sorte en soumission. Ils m'ont appelé à de multiples reprises pour toutes sortes d'affaires... Moi, j'ai toujours pensé que leur projet allait coûter une fortune. Et effectivement, je pense que c'est ça qui arrive. Ça coûte cher.»

Au cours de l'entrevue donnée le 8 avril, M. Chevalier a insisté sur le fait qu'il avait été consulté, si bien qu'il avait une bonne connaissance du dossier de Montréal. «Dans leur document de soumission (préparé par la firme BPR à la demande de la Ville de Montréal), il y a beaucoup d'informations qui viennent directement d'Ottawa, on ne se le cachera pas, a-t-il dit. Ce n'est pas par hasard que la répartition des grosseurs de compteurs qu'ils utilisent (à Montréal) est la même que la Ville d'Ottawa... J'ai participé un peu avec la Ville (de Montréal), en fait avec BPR. Ils m'ont appelé de façon continue pendant un bon bout de temps pour toutes sortes d'informations.»

Combien coûtent l'achat et l'installation d'un petit compteur commercial branché à une conduite d'eau de 20 millimètres et moins? lui a demandé La Presse. «L'installation, si vous en posez beaucoup, comme la Ville de Montréal veut le faire, va coûter probablement de 50$ à 60$, a-t-il dit. Le compteur comme tel va probablement coûter 75$, peut-être 80$.»

Cela revient donc à un maximum de 140$ par petit compteur. Or, dans les tableaux remis mardi au conseil municipal de Montréal, le prix des petits compteurs commerciaux de 20 millimètres, en incluant l'installation, est évalué à 1550$. C'est 10 fois plus cher.

D'entrée de jeu, M. Chevalier a dit qu'il savait que la Ville de Montréal prévoyait installer 600 chambres de vannes, tel que l'a indiqué le responsable du projet à la Ville, Gilles Robillard, la semaine dernière. Mais il s'étonnait du prix payé par Montréal. Une chambre de vannes est une pièce de béton, enfouie sous la chaussée, où peuvent être installés une valve de réduction de pression, un débitmètre, un manomètre pour mesurer la pression et un système de communication relié à un serveur central.

Ces chambres seront installées dans des secteurs de suivi de distribution, autrement dit dans des quartiers. Les différents appareils permettront de connaître le volume d'eau fourni à chaque secteur et de réduire la pression la nuit, tout cela afin de pouvoir identifier les fuites et de les limiter.

Il y a deux semaines, M. Robillard avait indiqué que les chambres de vannes comme telles, non équipées, coûteraient 40 millions de dollars. Selon lui, l'équipement coûtera 100 millions et le système de communications, 70 millions. Ces chiffres englobent l'exploitation sur une période de 25 ans.

M. Chevalier estimait que c'était un peu cher payé pour les chambres de vannes non équipées, même en comptant l'installation. Mais, surtout, il s'était montré très surpris par le prix alloué à l'équipement, soit 100 millions ou 166 000$ par chambre de vannes en moyenne.

«Ça m'apparaît cher! s'était-il exclamé. Ça doit inclure le scada (le système de communication).» Non, cela n'inclut pas le système de communication, avait indiqué le journaliste, en citant M. Robillard. Ce système reviendra à 117 000$ par chambre (soit 70 millions de dollars pour 600 chambres ou unités de mesure).

M. Chevalier estimait qu'un système de communication «scada» coûte entre 25 000$ et 50 000$, et non 117 000$. «Je serais surpris que ce soit beaucoup plus que 50 000$, avait-il dit. C'est juste un petit ordinateur industriel, on ne parle même pas d'un ordinateur personnel. On parle d'une boîte avec un peu d'intelligence, branchée sur la valve de réduction de pression ou sur le débitmètre avec deux fils... Cette petite boîte transmet l'information par ligne téléphonique, par fibre optique, par satellite... on peut aller loin avec ça. Mais normalement, c'est par téléphone, sur des lignes dédiées de Bell. Cette information est amenée dans le serveur central. C'est relativement simple.»

Après avoir parlé à M. Chevalier, La Presse a envoyé une série de questions à la Ville de Montréal. Deux heures plus tard, le maire de Montréal annonçait qu'il suspendait le contrat accordé à GÉNIeau, le temps de laisser le Vérificateur général enquêter sur le sujet. La Ville n'a jamais répondu à nos questions. Des responsables de la Ville ont contacté M. Chevalier pour lui demander des éclaircissements.

Ce dernier a envoyé un courriel à Gilles Robillard, responsable du dossier à la Ville. Selon des extraits qui ont été publiés hier dans le Journal de Montréal, M. Chevalier affirme que La Presse avait mal rapporté ses propos. Or, l'entretien, qui a duré une heure, a été enregistré. Les citations sont textuelles. M. Robillard a refusé de nous transmettre un exemplaire de la lettre. M. Chevalier n'a pas répondu à nos appels.