Les stations de métro de Montréal débordent de vie. Mais il y a le contraire. Des gens choisissent ces lieux pour mettre fin à leurs jours. Le suicide dans les souterrains de la métropole est un sujet tabou. Presque personne, à commencer par la STM, n'ose l'aborder. Même si la majorité des désespérés n'atteignent pas leur but et survivent avec de graves blessures, le métro est le théâtre de quelques décès chaque année. Voici le côté sombre du métro.

La voix du métro de Montréal annonce l'interruption du service dans les deux directions pour une durée indéterminée en raison d'un «incident». Personne ne bronche à bord du wagon. Quelques murmures se répandent parmi les passagers. Quelqu'un s'est jeté devant le premier wagon.

 

Le suicide dans le métro est un sujet tabou. La Société de transport de Montréal (STM), le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et Urgences-Santé préfèrent ne pas l'aborder. Même l'organisme Suicide Action Montréal se fait avare de commentaires. Les tentatives de suicide dans le métro augmenteraient lorsqu'on en parle, invoque-t-on.

Ce silence n'empêche pas plusieurs désespérés de passer à l'acte. La STM confirme qu'environ 30 tentatives de suicide ont lieu chaque année dans le réseau souterrain.

Près des deux tiers des personnes qui se jettent devant un métro ne meurent pas. Elles s'en sortent avec des blessures importantes qui les laissent, dans certains cas, avec un handicap permanent. «Les personnes rencontrées à ce jour croient que c'est une mort rapide et sans douleur, dit Brian Mishara, professeur au département de psychologie et directeur du Centre de recherche et d'intervention sur le suicide et l'euthanasie (CRISE) de l'UQAM. La plupart ne meurent pas ou pas forcément sur le coup, après avoir enduré d'extrêmes douleurs.» Quant aux blessés, ils survivent avec des séquelles graves, notamment des problèmes cérébraux, précise M. Mishara.

Quant au nombre de morts, les plus récentes statistiques obtenues du coroner font état d'une baisse notable en 2007 par rapport aux années précédentes. Huit personnes ont péri dans le métro montréalais en 2007, comparativement à 13 en 2006, 19 en 2005, 11 en 2004 et 14 en 2003.

Selon Brian Mishara, les suicides ont diminué dans le métro comme dans l'ensemble de la population québécoise. Depuis quelques années, ils sont passés d'une moyenne de 1300 à 1100 par année. «On craignait que les suicides se déplacent vers le métro après l'installation des barrières sur le pont Jacques- Cartier, mais ça n'a pas été le cas», constate le chercheur.

L'organisme Suicide Action Montréal estime qu'une série d'actions mises en place par la STM a contribué à cette diminution, notamment l'installation de caméras et de détecteurs de mouvement dans les tunnels.

«Des recherches sont aussi menées pour déterminer la trajectoire des victimes quelques heures avant leur tentative», souligne le directeur général de l'organisme, André Landry. Des publicités de Suicide Action sont diffusées régulièrement sur les enseignes électroniques à l'intérieur des wagons.

Problème de santé mentale

La maladie mentale est le plus important dénominateur commun des personnes qui tentent de se suicider dans le métro. C'est ce que révèle l'une des rares études sur le suicide dans le métro de Montréal, publiée il y a 10 ans par Brian Mishara. Le chercheur s'était appuyé sur les analyses des coroners qui ont enquêté sur les suicides dans le souterrain montréalais entre 1986 et 1996. Durant cette période, des 323 tentatives signalées, 129 personnes sont mortes par suicide.

Parmi celles-ci, 105 souffraient de graves problèmes de santé mentale, 73% avaient été hospitalisées pour des problèmes psychiatriques et 27% vivaient dans un établissement de soins psychiatriques.

La plupart étaient mortes entre janvier et février, et les deux tiers des suicides ont eu lieu entre 9h et 16h. Selon Michel Tousignant, autre chercheur au CRISE, les gens croient à tort que les suicides dans le métro sont fréquents et infaillibles. Le refus d'en parler renforce-t-il ce mythe? «La STM aurait peut-être intérêt à rendre public le nombre de gens qui se suicident dans le métro. La population verrait que ce n'est pas si pire», résume M. Tousignant, aussi professeur de psychologie à l'UQAM.

Dans sa recherche, Brian Mishara n'a pas noté de stations plus lourdement touchées par les suicides, mais 70% des victimes ont péri dans la station la plus proche de chez elles. Quant à leur profil général, 79 des 129 victimes étudiées étaient des hommes et 64% d'entre elles avaient moins de 40 ans.

Pistes de solution

Dans la conclusion de sa recherche, le chercheur avançait quelques pistes de solution pour réduire le nombre de suicides, notamment la diminution de la vitesse du métro à l'entrée des stations. L'aménagement sur les quais de barrières de sécurité qui ne s'ouvriraient qu'à l'arrêt du train, un système en vigueur dans d'autres souterrains du monde, coûterait des millions de dollars.

La Presse a consulté quatre rapports de coroners sur des suicides survenus en 2005 et 2006. Ils concernent des gens âgés de 27 à 73 ans, qui ont en commun d'avoir été suivis pour de lourds problèmes psychiatriques. Deux avaient déjà tenté de se suicider d'une autre manière avant de se lancer devant le métro. Deux autres avaient laissé paraître des tendances suicidaires juste avant de commettre l'irréparable. Une des victimes, une femme de 51 ans, avait d'ailleurs fait part à son psychiatre de ses pensées suicidaires obsessives et de sa fixation sur le métro.

Les coroners font de nombreuses recommandations. Parmi celles-ci, on compte une sensibilisation accrue du milieu hospitalier et l'installation de barrières de sécurité. Un coroner salue par ailleurs l'initiative de la STM, qui a installé 1200 caméras de surveillance dans le métro. Il note le succès obtenu par le réseau de téléphones d'urgence sur les quais. En lien avec le Centre de communication de la Société de transport de Montréal, ils permettent aux employés et aux usagers de signaler la présence d'une personne potentiellement en détresse. En 2005 seulement, les agents de sécurité ont ainsi pu empêcher 127 personnes d'attenter à leur vie.

La STM a toutefois choisi de faire des campagnes de sensibilisation à l'interne et non plus au grand public, ce qui préoccupe un des coroners. Ce dernier suggérait aussi à la STM d'encourager la conception de trains susceptibles de diminuer l'impact des collisions avec le wagon de tête. Il propose qu'une étude de faisabilité soit menée pour vérifier si le concept du coussin gonflable serait applicable à l'avant de la rame.

Le coroner disait souhaiter que la STM devienne un leader mondial en prévention du geste suicidaire et en réduction de ses conséquences chez les opérateurs de métro.

 

NUMÉRO D'AIDE

Pour joindre Suicide Action Montréal, composez le 514-723-4000 ou allez au www.suicideactionmontreal.org

 

SUICIDES DANS LES MÉTROS ET CHEMINS DE FER DU MONDE

Suède > 145 entre 2000 et 2002

Turquie > 326 entre 1997 et 2003

Allemagne > 5731 entre 1997 et 2002 (18 par semaine en moyenne)

Pays-Bas > 180 en 2003 (sur un total de 1500 suicides au pays)

(Source: Informations tirées de l'étude Railway and Metro Suicides: Understanding the Problem and Prevention Potential, publiée par Brian L. Mishara en 2007)