Contrats sans appels d'offres, fausses urgences et dépassements de coûts injustifiés: le ministère des Transports a même contourné ses propres règles et fait fi d'une directive du Conseil du Trésor quand il a alloué des contrats à ABC Rive-Nord, la firme dans laquelle l'ex-ministre David Whissell détient des intérêts.

Dans le rapport qu'il a remis mercredi à l'Assemblée nationale, le vérificateur général Renaud Lachance blâme très sévèrement Transports Québec, le plus gros «donneur d'ouvrage» de tout le gouvernement québécois, pour son manque de rigueur dans l'adjudication des contrats.Il s'interroge notamment sur la décision du Ministère de ne pas transmettre à la Sûreté du Québec des renseignements obtenus en 2004 qui prouvaient qu'il y avait collusion entre des entrepreneurs pour hausser le prix des contrats de déneigement. «J'ai été très étonné de constater qu'avec un rapport interne qui conclut qu'on a clairement contaminé le processus d'appel d'offres et tenté d'éliminer la concurrence le Ministère n'ait pas contacté la Sûreté du Québec (...) clairement, le Ministère n'a pas fait ce qu'il devait faire» dira M. Lachance

Même la ministre Julie Boulet a soutenu mercredi qu'elle était «choquée» par ces révélations. En point de presse, elle a promis que les 18 recommandations du vérificateur seraient promptement appliquées. Dix d'entre elles le sont déjà; les autres le seront rapidement. M. Lachance considère qu'un tel engagement constitue un mea-culpa de Transports Québec. Plus tôt en matinée, Mme Boulet avait affronté toute une tempête à l'Assemblée nationale, où l'opposition péquiste avait réclamé sa tête.

Selon le vérificateur, le tiers des contrats alloués par le Ministère, soit une valeur de près de 1 milliard de dollars, ne sont pas irréprochables du point de vue de la gestion des finances publiques.

Devant les journalistes, M. Lachance a indiqué qu'il n'était pas de son ressort de se prononcer sur la tenue d'une enquête publique. Dans le dossier d'ABC Rive-Nord, dont l'ex-ministre Whissell détient 20% des actions, il n'a pas trouvé de preuve qu'il y avait eu intervention politique pour la favoriser.

Sollicitant des entrevues, David Whissell s'est dit «blanchi» par le vérificateur. ABC Rive-Nord s'est retrouvée par hasard dans le collimateur du vérificateur, dont l'enquête avait député il y a 10 mois, bien avant la controverse autour de l'entreprise. La valeur des contrats accordés par Transports Québec à cette firme avait doublé depuis que M. Whissell était entré au conseil des ministres.

ABC Rive-Nord a décroché des contrats d'asphaltage sans appel d'offres, même s'il était évident qu'il y avait des concurrents et qu'il aurait dû y avoir appel de soumissions publiques, a soutenu mercredi M. Lachance. Plus encore, le Conseil du Trésor avait désigné une autre firme pour le contrat, mais le Ministère l'a tout de même adjugé à ABC Rive-Nord, soulignant que la compagnie était la plus proche du chantier. Le sous-ministre Michel Boivin soutenait qu'il fallait terminer les travaux rapidement, avant l'hiver.

À partir d'un échantillon de 190 contrats, sur les 4200 contrats «à risque» répertoriés, le vérificateur détaille en 35 pages les nombreuses lacunes du Ministère, qui met souvent de côté les règles de saine gestion.

Parmi ces contrats, 23 ont été alloués carrément sans appel d'offres, de gré à gré, et dans 20 cas, «les raisons étaient discutables», constate le vérificateur. Dans le cas de 170 structures, le Ministère a plaidé l'urgence pour contourner les mécanismes normaux de soumissions publiques. Néanmoins, dans 67% des cas, il a fallu de deux à six mois avant que les travaux soient amorcés. «La notion d'urgence n'était pas applicable», résume le rapport.

Le vérificateur critique aussi le fait qu'on fractionne des contrats pour réduire les contrôles - certains mandats ont fini par coûter le double de la soumission initiale.

Dans trois directions régionales, le vérificateur a constaté que les travaux prévus par 13 contrats avaient débuté jusqu'à huit mois avant que les contrats n'aient été signés. Dans un cas, les plans et devis avaient même précédé le contrat.

Dans 32 dossiers où Transports Québec a reçu une seule offre de service, on constate que, une fois sur deux, d'autres entrepreneurs avaient manifesté de l'intérêt lors du lancement des appels d'offres. Le Ministère ne vérifie jamais pourquoi les entrepreneurs subitement ne paraissent plus intéressés à soumissionner.

Au sujet des dépassements de coûts, dans 13 des 29 cas étudiés, le vérificateur constate qu'il y a eu des dépassements difficilement explicables. «L'envergure des dépassements était telle qu'il y a lieu de s'interroger», résume-t-il.

Le rapport déplore aussi que le ministère des Transports ne se soit pas donné la peine de comparer les prix qu'il paie à ceux qui se pratiquent ailleurs au Canada. Il constate aussi d'importantes différences de prix entre les régions pour un mandat donné. Des études comparatives permettraient au Ministère d'«améliorer ses pratiques de gestion».