Les partis de l'opposition aux Communes font front commun et exhortent publiquement le premier ministre Stephen Harper à rapatrier au plus vite le jeune Canadien Omar Khadr détenu à la prison de Guantanamo Bay depuis près de six ans.

Il s'agit ni plus ni moins pour le Parti libéral, le Bloc québécois et le Nouveau Parti démocratique de «rétablir la réputation internationale du Canada», selon le député bloquiste Paul Crête, alors que le président américain désigné, Barak Obama, a annoncé qu'il fermera le plus vite possible la prison de Guantanamo Bay dont l'existence, a-t-il dit, est un triste chapitre de l'histoire des États-Unis.Déjà lundi à la Chambre des communes, les trois partis de l'opposition ont fait part de leur frustration devant les réponses stéréotypées et vagues du gouvernement conservateur au sujet du sort du jeune Omar Khadr. Ils ont sonné de nouveau l'alarme aujourd'hui en conférence de presse en dénonçant «l'entêtement idéologique» du gouvernement Harper à ne pas faire face à ses responsabilités pour défendre les intérêts d'un citoyen canadien.

Le député libéral, Dan McTeague, a notamment souligné que dans les semaines qui viennent les États-Unis vont vraisemblablement émettre un avis d'éviction pour M. Khadr puisqu'il est assuré, selon le futur président Obama, que la prison militaire sera fermée.

«Ottawa n'a rien fait encore pour se préparer à cette éventualité», a affirmé M. McTeague.

Le député néo-démocrate Wayne Marston a rappelé de son côté en Chambre lundi que M. Khadr avait été «brisé par la torture» et que le gouvernement Harper se devait de rapatrier le jeune citoyen du Canada afin de donner l'occasion à ce dernier de «répondre de ses actes devant le système de justice canadien».

Irwin Cotler, le député libéral responsable du dossier des droits de la personne au sein de son caucus, a pour sa part fait part de son incompréhension face à la position canadienne. Pourquoi le gouvernement canadien, a-t-il demandé, accepte-t-il la procédure judiciaire intentée contre M. Khadr à Guantanamo alors que la Cour suprême des États-Unis, la Cour suprême du Canada, de hauts responsables au ministère des Affaires étrangères et le Barreau canadien ont déploré eux-mêmes cette procédure?

M. Cotler estime que Omar Khadr devra être jugé au Canada par un tribunal qui tiendra compte du statut d'enfant soldat que lui confèrent les normes et les conventions internationales.

Omar Khadr était âgé de 15 ans en 2002 lorsqu'il a été arrêté par des militaires américains en Afghanistan. Ces derniers l'ont accusé d'avoir lancé une grenade qui a causé la mort d'un des leurs. Son procès devant un tribunal militaire spécial à Guantanamo devait avoir lieu en novembre. Il a été reporté au 26 janvier 2009, soit six jours après l'assermentation du président Obama. Avant-hier encore, un juge fédéral des États-Unis a refusé de suspendre la procédure, affirmant que les avocats du jeune homme devaient d'abord adresser leur requête à une commission militaire. Les avocats de M. Khadr contestent le statut de «combattant ennemi» attribué à leur client puisque ce dernier était, au moment des présumés faits, un enfant soldat.

Les députés Bryan Wilfert (PLC), Paul Crête (BQ) et Paul Dewar (NPD), qui ont convoqué la conférence de presse de ce matin (mercredi), ne comprennent pas non plus pourquoi le gouvernement Harper accepte qu'un «Canadien fasse l'objet d'une telle poursuite alors que tous les autres pays occidentaux ont rapatrié et protégé leurs ressortissants».

Cannon plaisante

Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a répété lundi que «toute question relative à l'intention du Canada de demander la libération d'Omar Khadr (...) est à nouveau prématurée et relève de la spéculation, puisque la procédure judiciaire et le processus d'appel sont en cours». M. Cannon s'est même permis de plaisanter en Chambre sur l'affaire en lançant : «Remarquons que je n'ai pas dit «Coderre», j'ai dit «Khadr». Il faut que ce soit compris».

Le député de Bourassa n'a guère prisé la plaisanterie. «Même si c'est sans malice, a affirmé à La Presse Denis Coderre, M. Cannon a raté là l'occasion de répondre sérieusement à une question sérieuse. Il a aussi manqué de respect envers les familles concernées qui ne doivent pas trouver que l'heure est à la plaisanterie. M. Cannon a aussi violé le règlement de la Chambre en mentionnant mon nom. Le président aurait dû le rappeler à l'ordre. M. Cannon devra présenter des excuses.»

Tout ce remue-ménage autour de la réclusion du jeune canadien à Guantanamo survient au moment où la future administration américaine de Barak Obama insiste sur son intention de fermer la prison.

Dimanche dernier, l'influent quotidien The New York Times y allait d'un éditorial virulent pour dénoncer l'existence même de cette installation carcérale où se pratique la torture, une tare qui fait partie de la longue liste «des abus» du président sortant George W. Bush, selon le journal.

«M. Obama doit rapidement commencer à restaurer l'image de cette nation afin qu'elle retrouve le respect d'elle-même en annonçant un plan pour fermer la prison hors-la-loi de M. Bush à Guantanamo Bay», écrit encore le quotidien newyorkais,

«Cette prison, poursuit l'éditorial, est le premier exemple du mépris démontré par M. Bush et par le vice-président Dick Cheney envers la Constitution, la loi fédérale et les traités internationaux.»

Le New York Times a également qualifié de «désastre» - contrairement à ce que suggère le ministre Cannon - la loi sur les Commissions militaires de 2006 qui a permis la mise en place des tribunaux de Guantanamo.