Systèmes de ventilation moribonds ou désuets, façades qui perdent des morceaux, toits qui fuient. Négligé depuis une trentaine d'années, l'entretien des universités québécoises s'est transformé en gouffre financier de 1,5 milliard de dollars, selon un rapport que La Presse a obtenu et qui détaille les besoins de chaque institution.

«C'est extrêmement difficile, reconnaît Denis Brière, recteur de l'Université Laval et vice-président de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ). On atteint un point de non-retour avec certaines de nos infrastructures. Quand des blocs de ciment commencent à tomber et qu'on doit fermer le pavillon, il faut absolument agir.»

Au total, le rapport commandé par le ministère de l'Éducation énumère 5751 interventions que les 18 universités jugent nécessaires. Les données datent de 2007. Elles ont été compilées par un groupe de travail mis sur pied par la CREPUQ, qui a remis le rapport à Québec en février 2008. Il n'avait jamais été rendu public avant que La Presse l'obtienne grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

À elles seules, les vénérables universités McGill, Laval et de Montréal auraient besoin de près d'un milliard, et ce, de façon urgente. Les deux tiers des travaux répertoriés dans cette étude doivent en effet être réalisés immédiatement ou d'ici deux ans.

La moitié des travaux de réfection sont classés sous la rubrique «services» : on y trouve notamment les problèmes de ventilation, de climatisation et d'électricité. L'autre domaine important, avec 19% des interventions, est classé sous «superstructure et enveloppe» et regroupe la réfection des façades et des toits.

Une autre statistique, peu connue du grand public, reflète cependant mieux la décrépitude des universités: c'est «l'indice de l'état des installations». Grosso modo, on l'obtient en comparant le coût des travaux de réfection vitaux à la valeur des bâtiments. Le seuil critique est établi à 10%.

Or, la moyenne québécoise a pratiquement doublé en sept ans, passant de 11% à 20,4%, selon ce rapport. La moyenne canadienne se chiffre à 13%. C'est l'université McGill qui est la plus mal en point à ce chapitre, avec un indice de 46%. Elle devrait investir 622 millions dans l'entretien de ses édifices, dont la valeur est estimée à 1,3 milliard. L'École polytechnique, avec 44,8%, et l'Université de Montréal, avec 23,9%, occupent les deux autres marches de ce podium peu glorieux.

«Ce n'est pas surprenant, dit Jim Nicell, vice-principal de l'Université McGill. De mémoire, depuis 30 ans, on n'a jamais investi ce qui était nécessaire en réfection, et c'est un problème chronique avec les universités publiques. Nous avons beaucoup de priorités : nos étudiants, nos employés, les ressources éducationnelles, la recherche. On doit faire des choix.»

«C'est sûr que les coupes qu'il y a eues dans l'enseignement postsecondaire, dans les subventions gouvernementales, nous ont poussés à faire des choix difficiles», renchérit Denis Brière.

Coûteux, le patrimoine

Le cas de McGill est particulier : même si elle dispose d'un solide réseau de donateurs, l'université peine à trouver les millions nécessaires à la réfection de ses édifices souvent patrimoniaux. Les fonds sont plus faciles à trouver pour des projets de recherche prestigieux que pour remplacer une toiture, de toute évidence. «Réparer un escalier devant un édifice, on ne fait pas ça pour 3000$, mais 150 000$, surtout s'il y a des ouvrages en pierre ou en métal, explique le vice-principal. Regardez nos toitures. S'il y a du cuivre ou de l'ardoise, on n'achète pas ça à la quincaillerie du coin.»

L'autre cas étonnant, c'est l'École polytechnique, dont le bâtiment principal date d'à peine un demi-siècle et qui aurait besoin de travaux de 133 millions. «C'est un vieux bâtiment, bâti en différentes étapes avec différentes technologies, explique la porte-parole Annie Touchette. On se retrouve avec un pavillon qui est très complexe à rénover : on a par exemple 170 systèmes différents de climatisation et de ventilation, parce qu'il a été construit en plusieurs phases à différentes époques.»

Après des décennies de compressions, Québec a délié les cordons de sa bourse depuis trois ans. Les fonds consacrés à la rénovation des bâtiments sont passés de 22 millions en 2005 à 42 millions cette année. Ils devraient se stabiliser à 45 millions par année en 2012. Pour éviter que les infrastructures se dégradent, le gouvernement Charest a également bonifié les budgets récurrents pour l'entretien, qui passeront graduellement à 83 millions dans trois ans. Ils étaient de 21 millions en 2001.

Ottawa a renchéri en janvier dernier avec la promesse de verser deux milliards en deux ans pour les infrastructures postsecondaires. Les universités québécoises s'attendent à recevoir quelque 350 millions de cette manne. Elles ont soumis 300 demandes de subvention par l'intermédiaire du gouvernement du Québec, précise-t-on à Industrie Canada. Ottawa n'en a encore officiellement accepté aucune.

«Il y a une bonne compréhension des deux ordres de gouvernement, surtout au provincial, estime Denis Brière. Graduellement, on va réussir à rénover nos pavillons.»

Paradoxalement, alors qu'elles réclament des centaines de millions pour des rénovations, les grandes universités ont multiplié les investissements dans de nouveaux pavillons depuis quelques années. Du côté de la CREPUQ, on n'y voit aucune contradiction. «Si on arrête de construire, on recule encore plus, assure M. Brière. Il faut avoir un bon équilibre entre la construction et la rénovation de nos infrastructures existantes. Ce sont des enveloppes complètement différentes et qui ne sont pas interchangeables.»

- Avec la collaboration de William Leclerc