Si Québec ne réussit pas à empêcher la destruction des données du registre des armes à feu, il devrait investir pour en créer un nouveau, même si cela coûterait au moins 35 millions. C'est ce que croient Yves Francoeur et Pierre Veilleux, présidents de la Fraternité des policiers et policières de Montréal et de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec.

«Pour la sécurité de la population, il faut un registre québécois, coûte que coûte», a lancé mardi M. Francoeur. «La sécurité, ça ne se monnaie pas. Il faudrait le faire», a renchéri M. Veilleux.

Les deux ont soutenu la démarche du ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil. Ce dernier a annoncé que Québec intentera un «recours juridique» dès que le projet de loi C-19 recevra la sanction royale à Ottawa afin d'empêcher la destruction des données du registre.

Une quinzaine de représentants de groupes de victimes, de femmes, d'établissements scolaires et de la santé publique ont aussi appuyé M. Dutil. Ce dernier n'a pas annoncé s'il demandera autre chose qu'une injonction, ni quels arguments il plaidera. «On ne dévoilera pas notre stratégie», a-t-il justifié.

Peu de chances de gagner

De l'avis de plusieurs juristes, Québec aurait peu de chances de gagner. «Il y a toujours des avocats qui disent qu'on va gagner, et d'autres qui disent qu'on va perdre», a relativisé le ministre. Mais de son propre aveu, Québec préférerait que ses menaces incitent les conservateurs à conclure un règlement à l'amiable.

Si ces démarches échouent, Québec devrait renoncer au registre ou en créer un nouveau. Selon une «première évaluation» du ministère de la Sécurité publique, cela coûterait 35 millions. «Ça me semble sous-évalué, surtout quand on regarde ce que ça a coûté au fédéral [...] Je pense qu'on est en dessous, et de beaucoup», a-t-il lancé. À cela s'ajouteraient un peu moins de 5 millions par année, selon M. Dutil, en frais d'administration.

Le registre fédéral a coûté 1 milliard. Par ses impôts, Québec a versé environ 250 millions. M. Dutil serait peu enclin à dépenser pour recommencer le travail à zéro. Marc Parent, chef du Service de police de la Ville de Montréal, concède que ce travail serait «colossal». Il refuse de dire s'il serait justifié. «C'est un débat politique, répond-il. Tout ce que je peux répondre, c'est un outil de travail qu'on utilise au quotidien. Le besoin est là.»

Les différentes associations de policiers rappellent que depuis la mise en place du registre des armes d'épaule, quelque 115 000 armes ont été saisies. À Montréal, le registre est consulté environ 350 fois par jour.

Le Parti québécois a appuyé l'annonce de M. Dutil. Mais il lui demande d'avoir un plan en cas d'échec. Si un nouveau registre coûtait 35 millions, Québec «n'aurait d'autre choix que de se tourner vers cette option», a déclaré son porte-parole en matière de sécurité publique, Stéphane Bergeron.

Abolir le registre est une décision «purement idéologique», a dénoncé M. Francoeur. «Moi, je suis un chasseur, et je n'ai aucun problème avec le registre», a ajouté M. Veilleux.

Harper imperturbable

À Ottawa, le premier ministre Stephen Harper a fait peu de cas de la démarche judiciaire du gouvernement Charest. M. Harper a soutenu que les conservateurs avaient promis d'abolir le registre des armes d'épaule durant la dernière campagne électorale et qu'il n'a guère l'intention d'aider une province à créer un registre qui traite injustement «les chasseurs de canards et les fermiers», alors que la priorité doit être d'écrouer les «vrais criminels».

Les partis de l'opposition, eux, ont imploré le gouvernement Harper de collaborer avec Québec afin de lui remettre les données du registre des armes d'épaule et ainsi éviter une bataille judiciaire qui risque d'être coûteuse pour les contribuables.