Ce n'est que dans deux ans, vraisemblablement après les prochaines élections, que la commission d'enquête sur l'industrie de la construction devra remettre son rapport. Présidée par la juge France Charbonneau, la commission ne pourra forcer quiconque à venir témoigner, et ses conclusions porteront sur les «stratagèmes» utilisés pour pervertir l'attribution des contrats publics sans pour autant établir des coupables.

Le premier ministre Jean Charest a finalement levé le voile sur le mandat de la «Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction». Le groupe de trois commissaires - la juge Charbonneau choisira deux collaborateurs - aura à entendre, à huis clos d'abord, des témoins volontaires qui voudront révéler ce qu'ils savent sur les pratiques illégales dans l'attribution des contrats de construction. Les commissaires pourront aussi tenir des séances «publiques» pour «entendre des experts ou des témoins» qui, de l'avis des commissaires, pourraient lever le voile sur les stratagèmes utilisés. Ceux qui auront fait des révélations à huis clos ne seront pas tenus de témoigner en public, toutefois. On ne connaîtra pas la liste des personnes qui déclineront l'invitation des commissaires à témoigner.

Selon le premier ministre Charest, contraindre des témoins à venir s'expliquer, en vertu des règles de la loi sur les commissions d'enquête, aurait forcé les policiers à «jeter à la poubelle la preuve qu'elle est allée chercher». «La conséquence juridique du pouvoir de contrainte fait en sorte que toute preuve ainsi recueillie ne peut plus servir pour des accusations criminelles», a martelé M. Charest. Le gouvernement s'est penché, explique-t-il, sur le scénario d'une véritable enquête «publique», mais la formule retenue, «taillée sur mesure», convient-il, «sera plus efficace et aura plus de résultats». En vertu des chartes des droits, un témoin ne peut être forcé de s'incriminer. Par conséquent, ce qu'il dit, sous contrainte, devant une commission d'enquête ne peut plus servir en cour.

Le ton a toutefois monté, mercredi, quand des journalistes ont insisté, en vain, pour que M. Charest illustre cette affirmation par des précédents. «Je connais l'état du droit, c'est ce que nous conseillent les corps policiers consultés», a-t-il tranché. «Il y a des gens qui iraient se blanchir d'accusations criminelles en allant témoigner. On ne fait pas affaire avec des enfants d'école. On a les yeux bien ouverts et on n'a aucune naïveté. On ne voit pas pourquoi on donnerait l'immunité à ceux qui ont commis des crimes.»

En faisant référence à la commission Gomery, M. Charest a relevé qu'«après tous ces témoignages, rien n'a servi pour des accusations criminelles [et seulement] trois personnes ont été poursuivies».

Le premier ministre avait prévu que l'opposition critiquerait sévèrement les choix du gouvernement. Quelques minutes plus tard, Mme Marois a qualifié «d'arnaque» et de «bricolage» la nouvelle «patente». «Peu importe ce qu'on propose, a prévenu M. Charest, personne ne s'attend à ce qu'ils ne déchirent pas leur chemise.»

La commission Charbonneau aura à se pencher sur les 15 dernières années, ce qui lui rend accessible la période où Lucien Bouchard était au pouvoir. M. Duchesneau avait relevé des faits «antérieurs» au gouvernement actuel, a souligné M. Charest.

Dans leurs rapports, les commissaires ne pourront attribuer aucun blâme et ne formuler aucune conclusion sur la responsabilité civile ou criminelle de personnes ou d'organisations. Selon les fonctionnaires chargés d'expliquer le décret adopté mercredi par le Conseil des ministres, il ne faut pas, par conséquent, s'attendre à ce que ces rapports divulguent des noms ou nomment des firmes. Les balises prévues au décret visent à mettre à l'abri la commission d'éventuelles poursuites. «C'est une clause standard», a insisté M. Charest. Selon lui, toutefois, «rien n'interdit» au commissaire de divulguer des noms. Mais, d'après les juristes du gouvernement, rien n'établit que les témoins seront même tenus de prêter serment.

Même si les témoignages étaient «volontaires», cela n'a pas empêché Jacques Duchesneau d'entendre 500 personnes dans le cadre de son enquête sur la collusion dans les transports, de relever M. Charest. La commission Charbonneau aura à «aller au fond des choses», «pousser plus loin» le travail de l'ex-policier. Son mandat couvrira l'ensemble des contrats publics de construction, elle pourra mettre le nez dans les municipalités, à Hydro-Québec et dans les sociétés d'État. De plus, elle pourra faire des liens avec le financement des partis politiques - M. Charest a promis qu'il témoignerait, de même que ses ministres, si les commissaires le souhaitaient.