Les conseillers de Pauline Marois ont eu chaud. Le conseil national de juin 2010 servait de mise en jeu pour la «proposition principale» qui allait être discutée pendant 18 mois dans les instances péquistes. Or les 400 délégués entassés au mont Sainte-Anne ne devaient pas voir le fameux texte fondateur; l'ex-député Daniel Turp et le président du PQ, Jonathan Valois, en faisaient, sur la scène, une apologie aussi enthousiaste que générale.

Personne n'avait en main le fameux document et quand les journalistes surgirent dans la salle avec leurs copies, inquiète, la garde rapprochée de Mme Marois exigea la plus grande discrétion.

Sans texte à triturer, sans alinéa à raturer, les délégués péquistes perdent vite leur tonus, et ce conseil national se termina sans controverse. Ce n'est qu'une fois les caméras fermées que les délégués purent repartir avec leur «résolution principale» sous le bras.

Incident insignifiant? L'anecdote au contraire en dit beaucoup sur la méfiance de Pauline Marois à l'égard de ses troupes. Tous les chefs péquistes ont vécu ces psychodrames, une assemblée qui se braque subitement et gifle le patron après deux interventions bien senties au micro. Mme Marois joue de prudence.

Plus d'un an plus tard, c'est cette proposition qui doit être adoptée au congrès du PQ, la semaine prochaine, les militants ont pu discuter, jusqu'à plus soif, dans leurs congrès régionaux, sans trop attirer l'attention des médias.

En revenant au PQ, «j'ai dit ce que je voulais faire sur la souveraineté. Je voulais avoir les coudées franches, sur l'agenda, la stratégie. Je les ai finalement», d'expliquer cette semaine Mme Marois en entrevue. Elle refuse de pavoiser, mais elle admet d'emblée être sûre que les militants lui donneront un appui sans ambiguïté lors du vote de confiance, samedi prochain.

Dès son arrivée aux commandes, elle avait prévenu; il pourrait s'écouler «deux ou trois mandats» avant la tenue d'un nouveau référendum; la formulation désirée par Mme Marois, qui sera entérinée au congrès, n'a absolument rien de contraignant. Élu, le PQ a «pour objectif premier de réaliser la souveraineté», mais devra passer par un référendum «tenu au moment jugé approprié par le gouvernement».

Six ans après son départ, Bernard Landry soutient qu'il avait la même latitude. Mais son engagement était meilleur, plus combatif. «Nous, on disait le plus rapidement possible dans le mandat... possible est un mot puissant, et on avait la flexibilité nécessaire pour ne pas en tenir si cela n'était pas possible», explique-t-il aujourd'hui. Il voudrait qu'on se rapproche de cette formulation, «il faut le même esprit, le plus rapidement possible...» insistait-il cette semaine en entrevue. L'ancien premier ministre aurait volontiers assisté au congrès de la fin de semaine prochaine mais il avait un engagement pour des conférences à Alexandrie.

À son retour aux affaires, Jacques Parizeau, en 1987, avançait avec prudence aussi, il proposait des référendums sectoriels, ce n'est qu'avec l'échec de Meech que «le contexte s'est mis en place» et qu'il a pu tenir son référendum, insiste Mme Marois.

Il y aura bientôt quatre ans que Pauline Marois dirige un parti qui ne lui avait accordé que 20% d'appuis au congrès au leadership de 2005. Après la défaite cuisante d'André Boisclair en 2007, sa démission rapide, elle avait été en pratique plébiscitée. Rapidement elle avait posé ses conditions, et imposé ses vues.

Ses prédécesseurs, Bernard Landry et André Boisclair, n'avaient jamais eu l'audace d'exiger autant de latitude. «On est parti le loin, cela a été difficile, le parti était assez mal en point», résume-t-elle aujourd'hui.

Mme Marois va-t-elle réaliser la souveraineté? «Je ne pense pas, c'est encore trop tôt, il manque un mouvement de base, et je ne pense pas que cela surviendra dans les cinq ou six prochaines années», observe Yves Martin, un conseiller écouté au PQ à l'époque de Lucien Bouchard.

Sans trop de faux pas, Mme Marois a imposé sa loi depuis 2007. Aux élections de 2008, elle décida de passer par-dessus bord un député trop critique, Jean-Claude St-André, Scott McKay devint le candidat péquiste dans L'Assomption. Un signal lourd pour les fauteurs de troubles.

Avec la même détermination, elle a envoyé à la casse le SPQ libre, un club politique créé sous Bernard Landry. Souvent en opposition à ses choix, le groupuscule avait une visibilité médiatique sans aucune mesure avec son poids réel dans le parti. C'était sa décision, elle renversait une position adoptée par le congrès plénier de 2005, mais qui se préoccupe encore de ces nuances au PQ?

Marc Laviolette lui y pense encore. Il était avec Pierre Dubuc la figure de proue du «club politique». Les deux ont atterri dans des associations de circonscription. «Pauline est arrivée en disant qu'il faut rompre avec l'attentisme. Elle voulait aller chercher les votes adéquistes», en réhabilitant la réussite personnelle, la richesse individuelle. «Or il fallait plutôt ramener les souverainistes qui n'étaient pas allés voter», résume l'ex-syndicaliste, candidat d'André Boisclair en 2007.

Pour Laviolette, Mme Marois a vite été convaincue de mettre de côté ses velléités néo-libérales. Mais la direction du PQ reste bien frileuse, méfiante à l'endroit des militants. Sur la question de la souveraineté, «toute bonification amenée par les militants était perçue comme une atteinte à l'autorité de la chef ! C'est bien fatigant!» observe M. Laviolette.

Après quatre ans du régime Marois, le PQ se porte-t-il mieux? Le dernier sondage CROP, fin mars, montrait le parti en recul de 5 points, à 32%... 10 points de mieux que le PLQ, qui atteint des records d'impopularité. Mais au même moment, les tiers partis sont clairement en hausse. Plus troublant encore, Pauline Marois ne remporte l'adhésion que de 17% des électeurs quand on demande qui, des chefs de parti, ferait le «meilleur premier ministre». Après sept ans de pouvoir, et bien des dérapages, Jean Charest lui souffle dans le cou, à 15%. «Je suis en avance, l'écart n'est pas très grand, mais il est là», observe Mme Marois. Pauline Marois repousse ces chiffres de la main. Ses sondages internes sont bien meilleurs, affirme-t-elle. Et dans tous les cas de figure, le PQ obtiendrait un mandat majoritaire. En coulisses, bien des péquistes pensent qu'elle compte trop sur l'alternance qui amène tour à tour au pouvoir libéraux et péquistes. Un changement de chef au PLQ, l'arrivée de François Legault sur l'échiquier politique; l'alternance se révélerait une stratégie bien vulnérable. «Les nouveaux visages, c'est la pensée magique, le changement pour le changement... on a vu 40 députés de l'ADQ arriver, et cela a été la débandade. Cela prend de la profondeur», lance Mme Marois.

Pour Bernard Landry, «en termes de sondage, il y a du travail à faire. En 2005 le PQ était à 47... la souveraineté à 53%», rappelle-t-il dans un entretien cette semaine. Les circonstances ont changé, les tiers partis et François Legault brouillent les cartes, «mais il y a une remontée à faire», insiste-t-il. Le peu d'enthousiasme pour Pauline Marois «illustre un sentiment général, la population n'a pas actuellement beaucoup d'estime pour la classe politique», résume-t-il.

Le politologue Jean-Herman Guay avait jeté une douche froide sur les péquistes en 2003. Ils devaient selon lui oublier leur rêve d'un Québec souverain, qui semblait à portée de main après le naufrage de l'entente du lac Meech. «Les raisins de la colère ne sont toujours pas là. Il peut y avoir un rebond avec les élections fédérales, mais globalement depuis 10 ans ça s'essouffle, les francophones québécois réussissent au plan économique.»

«Les partis politiques ne comptent plus 300 000 membres. Ce n'est pas la faute de Pauline Marois, mais les acteurs politiques sont beaucoup moins écoutés.» Coincée entre ses militants souverainistes et l'électorat qui a la tête ailleurs, Mme Marois doit nécessairement avoir recours au «flou artistique» que lui reproche Jacques Parizeau, explique l'universitaire de Sherbrooke.

Pour Guay, Mme Marois est «parvenue à recentrer le PQ. C'est une des premières à avoir dit qu'il faudrait revoir les droits de scolarité. Mais le PQ bénéficie surtout de l'usure des libéraux, ce vote est fragile, on n'a qu'à mettre le nom de François Legault sur la table et tout bouge».

Le rôle de chef de l'opposition est passablement ingrat à Québec. Daniel Johnson était perçu comme un meilleur premier ministre que Jacques Parizeau, ce qui n'a pas empêché ce dernier de remporter le scrutin de 1994. Au début des années 2000, des reportages soutenaient que les milieux d'affaires montréalais et de nombreux libéraux boudaient Jean Charest. Il a tout de même gagné en 2003.

Pour Jean-François Lisée, ancien conseiller de Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, «on voit une évolution sur la personnalité de Mme Marois». Il était dans l'entourage de la chef péquiste, dans les premiers mois où elle avait proposé le «Nous», et avancé l'idée d'instituer une citoyenneté québécoise avec le français comme élément essentiel et une Constitution. «Beaucoup de gens disaient qu'il fallait battre en retraite. Et elle a tenu bon et, à la fin de cette année-là, l'intention de vote souverainiste avait progressé.»

Mme Marois s'était retrouvée un matin avec un article révélant que ses enfants, très jeunes adultes, avaient chacun versé 3000$ à sa course au leadership. L'affaire est délicate, mais elle talonne tout de même, ce matin-là, Jean Charest sur des questions d'éthique. Après trois réponses évasives, M. Charest sort son financement «filial», sa réplique était prête: «Mes enfants n'ont pas eu de contrats d'asphalte ni de permis de garderie!» On peut débattre longtemps sur qui a remporté l'échange, personne ne pourra dire qu'elle s'était esquivée devant la bagarre, observe Lisée.

De la même manière, elle a décidé d'affronter les «ex». Jacques Parizeau ou Lucien Bouchard peuvent attaquer sa stratégie publiquement, elle leur tient tête. «M. Parizeau se trompe...» répliquait-elle à son ancien patron qui l'accusait de cultiver l'ambiguïté de sa démarche -on n'a pas dit cela souvent à l'ancien premier ministre. En prime, l'apparition périodique de l'ancien chef dans les médias vaccine Pauline Marois. Difficile de traiter la chef péquiste de «radicale» quand elle prend ses distances du fiduciaire de l'option souverainiste.

Dans Crémazie, la députée Lisette Lapointe, la femme de M. Parizeau, n'a pu obtenir que sa proposition, une commission sur la souveraineté qui rendrait publiquement des comptes sur l'avancement de ses travaux soit même débattue au congrès. Pour Mme Marois, cet exercice est déjà prévu par le PQ, à la différence que les débats devront rester dans les instances du parti. La proposition de Crémazie avait été discutée dans plusieurs congrès régionaux, «le débat a eu lieu, cette proposition a plutôt été rejetée partout, on a tenu compte de ces inquiétudes. C'est sûr qu'on va préparer la souveraineté», dit-elle.

Pour Hadrien Parizeau, président de l'association péquiste de Crémazie, «c'est à la chef de choisir comment elle va nous amener à la souveraineté. Le problème, ce sont les gens qui l'entourent, la façon de faire quand on a mis de côté la proposition de Crémazie», déplore-t-il. Pour lui, les événements des derniers mois peuvent expliquer le réflexe de méfiance de Mme Marois; une lettre incendiaire d'une cinquantaine de jeunes souverainistes à la fin de 2010, les sorties régulières de Lucien Bouchard et de Jacques Parizeau.

Le courant derrière la proposition de Crémazie «n'est pas marginal, il y a beaucoup de gens dans le parti qui veulent faire avancer le projet de pays, on doit en débattre au congrès... ce n'est pas un comité qui va trancher ça...» de soutenir M. Parizeau, le petit-fils de l'ancien premier ministre. Pour lui, Mme Marois n'a rien à craindre pour son vote de confiance, «on ne peut penser à un autre 2005» -avec 76 % d'appuis, Bernard Landry avait tout de même lancé, avec la serviette, sa phrase sans appel, «ma route s'arrête ici».

Bien des péquistes croient cependant qu'elle a frôlé le précipice. L'automne dernier un sondage illustrait cruellement son déficit de popularité -elle obtenait une victoire honnête contre Jean Charest mais Gilles Duceppe aurait, lui, balayé le Québec! Tout a changé avec la victoire, inattendue, du PQ dans Kamouraska. L'ancienne circonscription de Claude Béchard n'avait pas voté PQ depuis 1981.

Pauline Marois a cautionné l'engagement d'imposer aux cégeps les règles d'admission prévues par la Charte de la langue. Le PQ y pense depuis longtemps -c'était déjà une pomme de discorde entre les militants et Lucien Bouchard en 1996. Même si le Conseil supérieur de la langue juge cette avenue inappropriée, cet engagement se trouvera «dans le programme et dans la plateforme électorale s'il n'en tient qu'à moi», soutient Mme Marois.

La nuance est importante, sous Parizeau le programme péquiste prévoyait le retour à l'unilinguisme français dans l'affichage, mais l'abolition de la loi 86 était absente de la plateforme adoptée en vitesse, à la toute veille de la campagne de 1994.

«Nos analyses nous disent que le risque de s'intégrer à la communauté anglophone est beaucoup plus grand si on est passé par le collégial en anglais», explique-t-elle. Mais son programme proposera aussi l'enseignement intensif de l'anglais à la fin du primaire ou au début du secondaire.

«Avec cette position, le PQ se rapproche de ses revendications historiques, cela va favoriser un retour à l'unité du mouvement souverainiste», observe Mario Beaulieu, un ancien militant du PQ qui a quitté le parti. Actuel président de la Société Saint-Jean Baptiste, il faisait partie de la fronde qu'avait laminée Lucien Bouchard dès 1996. Pour Beaulieu, l'appui au PQ avait grimpé quand Mme Marois avait insisté sur les questions identitaires. Le projet avait dérapé par la suite -elle avait laissé tomber qu'on pourrait enseigner l'histoire en anglais, une explication tortueuse reprise par ses adversaires.

«Elle a de la difficulté à se dégager de son image affairiste», résume Mario Beaulieu.

En entrevue, elle se défend d'être allée trop loin cet automne, en assimilant les adversaires libéraux à la mafia. Deux ministres ont été ramenés sur les banquettes arrière (David Whissell et Tony Tomassi), rappelle-t-elle, l'un deux avait des liens avec une compagnie, BCIA, «qui soulevait beaucoup de questions», rappelle-t-elle.

Le PQ de Pauline Marois reste plus distant des centrales syndicales. Partenaires fidèles dans les coalitions souverainistes, les syndicats avaient davantage d'influence sur les Parizeau, Bouchard et Landry. André Boisclair avait tiré un trait sur la période «copain-copain», mais il avait bénéficié de l'appui de la FTQ en 2007. Les leaders syndicaux avaient avalé de travers quand Mme Marois avait déclaré que leurs demandes du secteur public réclamaient «un peu beaucoup» en augmentation de salaire. «Mes relations sont saines, correctes avec les centrales», soutient Mme Marois. «Aucune centrale ne m'a appuyé à l'élection de 2008», rappelle-t-elle.

Le PQ a tout de même poussé pour la modernisation de la loi sur les briseurs de grève et l'amélioration des programmes de retraite, insiste-t-elle.

«Des positions bien édulcorées», réplique Marc Laviolette. Pas d'erreur, on est encore au PQ.