Québec a accordé le plus important contrat en technologie de l'information de son histoire, même si une seule entreprise s'était rendue au bout du processus d'appel d'offres et en allant à l'encontre des recommandations de ses fonctionnaires.

Au début de 2009, le gouvernement Charest a accordé le contrat de 923 millions, sur 10 ans, à TELUS pour la réunification de ses deux réseaux de télécommunication. Baptisée RITEM, cette nouvelle infrastructure devait voir le jour à partir des réseaux qui existaient déjà dans la santé, le RTSS, et le RETEM, et être appliquée à l'ensemble de l'administration publique. Ce faisant, Bell Canada perdait un mandat qu'elle détenait depuis 20 ans. L'entreprise avait décidé de ne pas répondre à certaines conditions posées par le gouvernement, jugées irréalistes. Devant cette situation délicate, des fonctionnaires avaient suggéré de retourner à la table de travail et de lancer un nouvel appel d'offres susceptible de laisser place à la concurrence.

Mais le gouvernement a suivi la voie tracée. La proposition de Bell avait été jugée non conforme sans même que Québec n'ouvre l'enveloppe pour prendre connaissance du prix demandé par son ancien fournisseur.

Voilà ce qui devait se passer... mais le projet, historique, est devenu un cauchemar, ont confié à La Presse de nombreuses sources étroitement associées au contrat, même au sein du gouvernement.

Dérapages

Dans bien des ministères, les contrats informatiques dérapent. Les dossiers de la CSST, de la CARRA et le Dossier santé Québec ont déjà fait les manchettes. Selon l'échéancier, le projet-pilote du Dossier santé aurait dû être en vitesse de croisière à Québec. Or seulement le volet médicament a été timidement amorcé; quelques pharmacies sont en ligne dans la capitale. Pour le volet laboratoire, rien n'est fait. On s'arrache les cheveux à la Santé pour uniformiser d'une clinique à l'autre les numéros d'identification des patients.

Un autre projet de modernisation, confié à DMR par la Sécurité publique pour réseauter les centres de détention et les palais de justice, est en difficulté et a vu ses coûts exploser.

Le Vérificateur général du Québec publiera un rapport portant sur tous ces cauchemars administratifs à l'automne.

Pour Dominique Vien, ministre responsable des Services gouvernementaux, cette concentration des contrats n'est pas compromettante: «Tous les contrats sont accordés au terme d'un processus d'appel d'offres.» Même quand on lui souligne que dans le cas du RITEM, une seule soumission avait été ouverte, elle insiste. «Le contrat a été octroyé en janvier 2009, on est en affaire avec TELUS, qui n'était pas seule... Si elle décide de s'adjoindre les services d'un sous-traitant, cela lui appartient», a-t-elle dit.

La Presse indiquait hier que plus de la moitié de 3,5 milliards de contrats en technologie de l'information accordés depuis 2004 s'étaient retrouvés entre les mains de trois firmes, TELUS, DMR et CGI.

Retards coûteux

Même après avoir perdu le mandat pour la création du réseau RITEM, Bell Canada a fourni pendant des mois les services à la place de TELUS, une période de «transition» qui a permis à Bell d'exiger des honoraires bien plus importants que ceux qu'elle aurait touchés si elle avait obtenu le mandat explique-t-on. «Le forfaitaire que gérait Bell à bon coût pour Québec s'est transformé subitement en heures facturables à gros tarifs.»

Pire encore, TELUS étant incapable de réaliser le mandat comme prévu s'est vue contrainte récemment de prendre Bell comme important sous-traitant.

La situation ressemble étrangement à celle de la Ville de Montréal où TELUS a été forcée de faire appel à Bell pour remplir ses obligations; le Vérificateur de la Ville a relevé dans son rapport de la mi-mai que TELUS n'avait pris en charge que 11% des lignes téléphoniques et 20% des prises réseau qu'elle s'était engagée à contrôler.

Dans le dossier du RITEM, TELUS devait par exemple s'occuper de relier 4000 postes dans l'administration publique 1750 sont passés à Bell dans une entente conclue il y a quelques jours a appris La Presse.

Les obligations de service en région étaient aussi bien difficiles à remplir pour TELUS qui n'était pas aussi bien distribuée sur le territoire que Bell.