La controverse entourant le processus de nomination des juges suscite un malaise chez les libéraux réunis en conseil général à Saint-Hyacinthe.

Le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, titulaire de la Justice d'avril 2007 à décembre 2008, s'est réfugié comme plusieurs derrière la mise sur pied de la commission Bastarache pour éviter de répondre aux questions.

Il n'a pas voulu dire si, comme Kathleen Weil, il discutait à l'époque avec le premier ministre Jean Charest des candidats au poste de juge, le consultait avant de faire sa recommandation au conseil des ministres.

«Nous avons cette semaine institué une commission d'enquête, et nous avons nommé l'ex-juge Michel Bastarache de la Cour suprême du Canada. Alors moi je vais respecter le travail que le juge Bastarache va faire, et je vous remercie beaucoup», a-t-il affirmé avant de s'engouffrer dans une salle.

Quelques heures plus tard, il a sollicité les médias pour indiquer que «toutes les recommandations» qu'il a faites l'ont été «sur la base du comité de sélection qui a estimé que les candidats étaient compétents».

«Moi, comme ministre de la Justice, puisque je connaissais un certain nombre de ces personnes que j'ai recommandées, parce que j'ai pratiqué pendant 20 ans devant les tribunaux, la plupart je les connaissais, j'étais capable d'évaluer, c'était mon dada, que les candidats allaient écouter les plaideurs, respecter les justiciables», par exemple. Il a refusé de dire s'il consultait le premier ministre. «C'est devant le juge Bastarache qu'on va parler de toutes ces choses-là», a-t-il dit.

Yvon Marcoux, un autre ancien ministre de la Justice de Jean Charest, a martelé qu'il répondra aux questions de Michel Bastarache seulement. Notons que, au moment d'écrire ces lignes, Kathleen Weil brillait par son absence au conseil, comme vendredi soir.

De son côté, la présidente du Conseil du trésor, Monique Gagnon-Tremblay, a fait cette seule remarque, intrigante: «Il y a une commission d'enquête qui a été annoncée, et la vérité sortira en temps et lieu. Je n'ai rien d'autres à ajouter». Elle a insisté sur la conclusion d'une entente de principe sur les clauses normatives -ne portant donc pas sur les salaires- avec le Syndicat de la fonction publique.

Pour le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, «quand on est ministre, parfois on peut parler au premier ministre sur différents sujets de son ministère, mais en général, elle (Mme Weil) est nommée pour les nommer».

Le ministre du Développement économique, Clément Gignac, n'est «pas étonné» que «le chef du gouvernement soit informé». Il a toutefois ajouté que le juge Bastarache se prononcera pour déterminer si l'intervention de M. Charest dans le processus de nomination des juges «est la meilleure chose, la plus pertinente». «C'est à la commission de se prononcer là-dessus, voir si, dans le fond, le premier ministre est vulnérable ou pas.»

L'intervention de M. Charest dans le processus fait sourciller M. Bastarache, comme l'a révélé La Presse. Selon le whip en chef du gouvernement, Pierre Moreau, «si M. Bastarache a sourcillé, il va faire bien plus que ça M. Bastarache, car il va écrire un rapport qui va être rendu public et fera des recommandations. Il aura l'occasion d'exprimer tous ses sentiments, et non pas seulement son «body language»».

«Ça fait partie de la normalité des choses» que le premier ministre soit consulté avant de choisir un juge parmi la liste des personnes qualifiées fournies par le comité de sélection, a-t-il ajouté.

«Aucune information ne doit être mise à l'abri du premier ministre. Est-ce qu'on pourrait expliquer qu'on cache des informations au premier ministre celui qui, démocratiquement, est élu pour mener les choses?» a dit M. Moreau, soulignant qu'il a pratiqué le droit pendant 22 ans.

Questionné sur le fait que le premier ministre Daniel Johnson avait dit à Roger Lefebvre, titulaire de la Justice en 1994, que les recommandations étaient la prérogative exclusive du ministre, M. Moreau a répondu que «ça peut être un choix personnel de M. Johnson. Mais au sommet de l'État, il y a le premier ministre. Il est absolument normal que celui-ci puisse être consulté. De toute façon c'est le premier ministre qui établit l'ordre du jour avec le secrétaire général des réunions du conseil des ministres».

Pour le député Pierre Paradis, cette controverse provoquée par la sortie de Mme Weil, «ce n'est pas une situation agréable pour personne».

L'intervention de Norman MacMillan auprès de Marc Bellemare en 2003 a suscité des avis partagés. Rappelons que M. MacMillan a fait valoir à Marc Bellemare la candidature au poste de juge du fils d'un organisateur libéral -le gouvernement l'a finalement retenue.

Le ministre du Revenu, Robert Dutil, dit qu'il ne lui est pas arrivé de parler d'un candidat au poste de juge avec la ministre de la Justice, comme l'a fait M. MacMillan avec M. Bellemare. Et il ne fera jamais une telle démarche. «Parce que je considère que ce n'est pas la formule», a-t-il dit.

Même réaction de la part de Clément Gignac. «Je suis en politique depuis neuf mois, et je peux vous dire que ce n'est certainement pas une chose que je ferais de mon côté. Je n'ai aucune compétence en ce domaine, et je me fie à la ministre de la Justice», a-t-il affirmé.

Pour le ministre de l'Emploi, de la Solidarité sociale et du Travail, Sam Hamad, «ça ne donne rien» de faire une intervention auprès du titulaire de la Justice. «Si on fait ça, ça arrive qu'il y ait des conflits. Je n'ai pas besoin de ces conflits-là», a-t-il ajouté. Sa conjointe, Marie-Claude Gilbert, a accédé à la magistrature en mars 2009. M, Hamad n'a pas discuté de la candidature de sa conjointe avec Mme Weil. Il ignorait qu'elle faisait partie de la courte liste des candidats qualifiés. «Je n'ai jamais parlé. J'étais au conseil des ministres» quand la recommandation a été déposée, «j'ai vu le nom, et je suis sorti. Le conseil des ministres a pris sa décision, et je suis revenu après».

Pierre Moreau s'est porté à la défense de Norman MacMillan. «Le rôle d'un député est d'écouter ses commettants et d'informer les gens concernés, point à la ligne. On n'appelle pas ça faire des pressions, on appelle ça faire une représentation, point à la ligne», a-t-il affirmé.

«Je pense que ça fait partie de la normalité des choses. Si un député ne peut plus prendre l'information donnée par un commettant pour le relayer à un ministre...», selon lui, «il ne faut pas tomber dans l'absurde».

«Je pense qu'il y a une ligne qui est toujours à tracer, a dit de son côté Pierre Arcand, ministre des Relations internationales. «On aide les gens à pousser des dossiers. Dans le cas de nomination de juges, ça ne m'est jamais arrivé. Dans mon rôle, ce serait de s'assurer qu'il est quelque part considéré, purement et simplement. Pour le reste, c'est sûr qu'on ne se mêle pas de ces nominations.»

La ministre de la Culture, Christine St-Pierre, a quant à elle souligné que ce n'est pas la première fois que la nomination de juges fait jaser, se défendant de vouloir «faire la belle-mère». «Je me souviens très bien en 1995 que la femme de Bernard Landry (Lorraine Laporte, décédée quelques années plus tard) avait été nommée juge, et c'est M. Bégin qui l'avait nommée. Et ça avait créé un certain tremblement de terre, un inconfort. M. Landry s'était vraiment offusqué parce que des gens posaient des questions. Il disait qu'il y a un comité, que c'est rigoureux, que son épouse a toute la crédibilité et la compétence, et c'était vrai. Les gens qui sont nommés sont des personnes compétentes», a-t-elle dit.

Au conseil général, les ministres Raymond Bachand et Monique Gagnon-Tremblay ont défendu le budget, impopulaire comme le démontrent les sondages. De rares critiques se sont fait entendre chez les militants, qui ont démontré leur appui au gouvernement. L'un a déploré la hausse des droits de scolarité projetée.

Environ 250 militants commençaient l'étude de résolutions sur la thématique du conseil général : «l'éducation, une force économique». Les travaux se poursuivent dimanche.