Des dizaines de responsables canadiens - y compris des diplomates et des politiciens en vue - ont été soupçonnés de trahison par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à l'époque où le corps policier faisait des pieds et des mains pour dénicher une présumée taupe soviétique dans ses rangs au plus fort de la guerre froide.

Des documents obtenus par La Presse Canadienne grâce à la Loi d'accès à l'information démontrent que même les membres les plus respectés de la diplomatie canadienne n'étaient pas à l'abri de cette opération «Feather Bed».

Rien ne permet de conclure que cette enquête, qui s'est étirée de la fin des années 1950 jusqu'aux années 1970, ait jamais identifié un seul agent soviétique. Malgré tout, les détails de l'opération sont demeurés secret pendant des décennies, même après que le Service canadien du renseignement de sécurité eut pris la relève de la GRC en matière d'espionnage.

Une note de service de trois pages rédigée en juillet 1968 révèle que la GRC a demandé aux services de renseignements des alliés du Canada de vérifier leurs dossiers à la recherche d'informations portant sur 68 officiels - la plupart des anciens diplomates ou des diplomates toujours en poste - dans le cadre de «Feather Bed».

Deux des diplomates sur la liste, George Ignatieff et Saul Rae, avaient des fils - Michael et Bob - qui, éventuellement, se hisseraient à la tête du Parti libéral du Canada.

L'accent mis sur les employés des Affaires étrangères démontre que la GRC croyait que les Soviétiques cibleraient les agences les plus importantes de l'époque - les affaires étrangères et internationales étant passées au premier plan après la Deuxième Guerre mondiale.

On retrouve également sur la liste de 1968 le nom de John Starnes, qui était à l'époque au service de la sécurité et du renseignement au ministère des Affaires étrangères, et qui, l'année suivante, serait nommé à la direction des activités de sécurité de la GRC.

M. Starnes, qui est aujourd'hui âgé de 94 ans, a estimé lors d'une entrevue que la GRC ne faisait que son devoir en enquêtant sur lui, compte tenu des multiples contacts qu'il avait établis dans le milieu du renseignement au fil de sa carrière.

«Je ne savais pas qu'on avait enquêté sur moi pour «''Feather Bed'', mais ça ne me surprend pas le moins du monde, a-t-il admis. En fait, j'aurais été étonné du contraire.»

Si «Feather Bed» ne semble pas s'être intéressée longtemps à M. Starnes, il n'en va pas de même pour George Ignatieff, qui compte un volumineux dossier à son nom. Les enquêteurs ont notamment tracé, en juin 1970, l'arbre généalogique de ce diplomate de carrière, remontant jusqu'à la Russie tsariste. On y mentionne aussi brièvement son fils Michael, un diplômé de l'université de Toronto à qui la GRC s'intéressait depuis qu'il avait organisé des conférences sur les affaires étrangères.

«Basé strictement sur les informations contenues dans nos dossiers, rien ne permet de douter de la loyauté des Ignatieff envers le Canada», peut-on lire dans l'enquête de la GRC.

D'autres leaders politiques, comme les chefs néo-démocrates David Lewis et Tommy Douglas, ont eux aussi fait l'objet d'enquêtes prolongées.

Les autorités se sont également intéressées à Jim Burnett, le directeur du contre-espionnage pour la GRC. Même si aucune preuve à son endroit n'a jamais été retrouvée, M. Burnett a discrètement été chassé du corps policier en raison des rumeurs persistantes à son sujet.

«Feather Bed» a été laissée de côté au milieu des années 1970, quand la GRC s'est tournée vers les nouvelles réalités qu'étaient le mouvement indépendantiste québécois et le terrorisme international. La GRC a noté, en 1980, que la publication des documents de l'opération serait «regrettable», puisque cela pourrait mener à des soupçons sans fondements et à la diffamation de gens innocents.

Ironiquement, on a plus tard appris qu'un membre de la GRC, le sergent Gilles Brunet, avait été à la solde des Soviétiques.