La Banque Nationale n'est pas le seul fleuron du Québec inc. où le français n'est pas la langue habituelle de travail pour un grand nombre d'employés. La Presse a reçu des plaintes concernant la firme informatique CGI et le fabricant Bombardier Aéronautique. Voici l'état de la situation.

Le français n'est toujours pas «la langue normale et habituelle de travail» chez Bombardier Aéronautique, bien que l'entreprise ait commencé ses démarches de francisation il y a 30 ans, a appris La Presse.

Le programme de francisation de Bombardier Aéronautique a débuté en février 1981, quatre ans après l'adoption de la loi 101. Ce programme vise l'obtention du certificat de francisation, qui atteste que le français est généralisé dans l'entreprise.

Le certificat de francisation est obligatoire pour toutes les entreprises de 50 employés et plus au Québec. Il est remis par l'Office québécois de la langue française (OQLF). Sans ce certificat, l'entreprise ne peut obtenir de contrat ou de soutien financier du gouvernement du Québec, à moins que l'OQLF constate que les démarches de l'entreprise sont en progression.

Or, cette progression semble avoir été mince depuis 30 ans, si l'on se fie à un document interne de l'entreprise que La Presse a obtenu. Chez Bombardier Aéronautique, la connaissance fonctionnelle du français n'était pas un critère d'embauche avant 2010, selon le document.

À ceux qui sont incapables de fonctionner en français, des cours ne sont offerts que depuis l'an dernier. De plus, les logiciels, comme le système d'exploitation Windows, sont offerts en français depuis seulement deux ans sur les postes de travail, indique le document.

Ces nouveaux efforts surviennent quelques mois après que l'entreprise eut demandé au gouvernement du Québec de lui prêter 118 millions de dollars à des conditions avantageuses pour l'assemblage du nouveau modèle d'avion CSeries. Le prêt a été accordé en 2008.

La vice-présidente des affaires publiques de Bombardier Aéronautique, Hélène Gagnon, soutient que l'entreprise fait «des efforts de francisation très importants». Dans les usines, l'affichage et les rencontres sont en français et les manuels techniques sont offerts en français, dit-elle. «Nous n'avons pas notre certificat, mais on y travaille. On prend ce sujet très au sérieux.»

De plus, dit-elle, 8 des 11 membres du comité de direction sont québécois, malgré le caractère très international de Bombardier, et les 3 autres suivent des cours de français.

Des employés de bureau de Bombardier Aéronautique se sont pourtant plaints à La Presse d'être obligés de communiquer uniquement en anglais avec leurs collègues et leurs supérieurs.

«Suprématie de l'anglais»

«J'ai été surpris d'apprendre dans vos articles sur la Caisse de dépôt et la Banque Nationale que c'est un droit de travailler en français au Québec. Aux bureaux de Bombardier à Dorval, c'est tout simplement impossible. Toutes les communications se font en anglais, qu'on parle de courriels, de rapports écrits ou de réunions. Seuls les communications officielles de l'entreprise ou les services aux employés sont en français», nous écrit un employé.

«Personne n'ose remettre en question la suprématie de l'anglais au travail de peur d'être perçu comme un séparatiste et de limiter ses possibilités d'avancement», poursuit-il.

L'employé dénonce l'embauche de cadres anglophones unilingues. «Des gens de talent exceptionnel, dit-il, mais qui n'ont aucun intérêt à apprendre notre langue. Jamais un bonjour ou un merci.»

Un autre employé nous fait les mêmes remarques. «Dans mon département, on fait des staff meetings et des stand-up meetings pour vérifier s'il y a des issues avec le Stress Level», nous raconte-t-il.

Une exception

À ce sujet, la porte-parole Hélène Gagnon fait valoir que Bombardier Aéronautique dispose d'une entente particulière avec l'OQLF. Cette entente permet à l'entreprise d'utiliser aussi l'anglais comme langue de fonctionnement pour son siège social de Dorval et son centre de développement de produits de Saint-Laurent.

Cette dispense particulière est entrée en vigueur en 1981 et a été renouvelée en 2006. Bombardier a obtenu cette dispense de l'OQLF en invoquant que ses employés doivent communiquer en anglais avec ses nombreux clients, usines et fournisseurs internationaux. «Environ 95% de nos ventes se font à l'extérieur», dit Mme Gagnon.

Quelque 4000 employés sur les 13 000 de Bombardier Aéronautique peuvent travailler librement en anglais, à l'écrit comme à l'oral. En pratique, la langue de travail est donc l'anglais, à l'interne comme à l'externe, et les francophones doivent s'y plier.

Étonnamment, les employés qui ont joint La Presse ne savaient pas que leur «droit fondamental» de travailler en français n'est pas protégé par la loi 101. La direction de l'entreprise nous confirme d'ailleurs ne pas avoir informé les 4000 employés concernés de cette dispense et de ses conséquences.

La situation ne changera pas de sitôt. À l'automne, Bombardier a demandé à l'OQLF que sa dispense soit renouvelée pour une période de cinq ans «avec un élargissement du nombre d'employés pour inclure les nouveaux produits de Bombardier».