Sauf dans certains cas bien précis, on doit permettre à une femme de porter un niqab au tribunal, a tranché mercredi la Cour d'appel de l'Ontario dans un jugement très attendu.

Cette décision unanime des trois juges a donc pour effet d'autoriser une femme à garder son niqab - un voile qui ne laisse voir que les yeux - pendant qu'elle témoigne, à moins que cela n'empêche la tenue d'un procès juste et équitable.

Le tribunal a dû se pencher sur cette question à la demande de N.S., musulmane âgée de 32 ans qui fait face, en cour, à son oncle et à son cousin, accusés de l'avoir agressée alors qu'elle avait entre 6 et 10 ans.

La Cour n'a pas retenu l'argument selon lequel N.S. a des croyances religieuses bien variables puisqu'elle a déjà accepté de retirer son voile pour faire prendre la photo de son permis de conduire.

«La Cour ne peut pas juger de la sincérité de la croyance religieuse d'une personne à partir du seul fait qu'elle y a fait des accrocs dans le passé. Les pratiques (religieuses) évoluent. Peu d'entre nous peuvent par ailleurs se vanter d'avoir toujours agi en conformité parfaite, en tout temps, avec leurs croyances.»

La Cour d'appel de l'Ontario a en outre donné l'exemple de personnes qui, en raison de problèmes visuels, devraient porter des verres fumés au tribunal. Personne ne s'en offusquerait. Bien sûr, des verres fumés et un niqab sont deux choses bien différentes, dit le jugement, mais dans un cas comme dans l'autre, un juge, même à l'enquête préliminaire, est autorisé à s'assurer du bon déroulement des audiences, ce qui inclut le droit de se pencher sur la tenue de chacun.

Inévitablement, deux droits s'opposent ici: le droit à un procès juste et équitable et celui au respect des convictions religieuses. Les magistrats disent espérer que chacun fera «des efforts de bonne foi» quand il s'agira de soupeser ces deux impératifs, ce qui devra aussi être fait dans le présent cas.

Pascale Fournier, professeure à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, se réjouit de la décision et s'explique mal, notamment, que des féministes croient que le fait d'empêcher le port du niqab ferait avancer la cause des femmes. À son avis, c'est tout le contraire: «Il s'agit ici de femmes qui ont été agressées par des membres de leur famille et pour qui il est déjà vraiment traumatisant de témoigner. Si on les obligeait à se dévoiler, cela en amènerait plusieurs à ne jamais dénoncer et les confinerait à la sphère privée.»

Wahida Valiante, porte-parole du Congrès islamique canadien et travailleuse sociale de profession, s'est elle aussi réjouie de la décision: «J'ai hâte de voir comment cette décision sera mise en application dans les tribunaux, mais a priori, les juges semblent avoir adopté une attitude pragmatique. Les femmes doivent avoir le droit de se vêtir comme elles l'entendent.»

Preuve d'un jugement tout en nuance, le Congrès musulman canadien - qui revendiquait au contraire l'interdiction du niqab en cour parce qu'il n'est pas à son avis une prescription de l'islam - a accueilli le jugement tout aussi favorablement. À son avis, la décision «nie le droit automatique d'une femme de se masquer en cour en invoquant ses croyances religieuses».

Pour la professeure Pascale Fournier, cependant, la décision ne fait aucun doute: la Cour d'appel de l'Ontario n'ouvre qu'une toute petite porte à ceux qui voudraient obliger une femme à se dévoiler. «Il s'agira de rares cas, par exemple, où l'on n'aurait aucune preuve ou aucun autre témoin et où toute la cause reposerait sur la seule crédibilité de la personne.»