Bannir le voile intégral de tout l'espace public? Le projet de loi français suscite des réactions mitigées au Québec.

Le philosophe Daniel Weinstock s'y oppose. Il se dit pour l'affranchissement des femmes, mais croit que la loi ne permettrait pas d'atteindre cet objectif. «On se pète les bretelles en se disant contre le voile intégral. Mais que va-t-on vraiment gagner en l'interdisant? On va seulement inciter ces femmes à rester chez elles. C'est le contraire de l'intégration», dénonce le titulaire de la chaire de recherche du Canada en éthique et philosophie politique à l'Université de Montréal et consultant de la commission Bouchard-Taylor.

Pascale Fournier, professeure à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, estime aussi que la loi augmenterait l'exclusion au lieu de la combattre. «C'est une loi inutile et hypocrite. Si on voulait vraiment intégrer ces femmes, on agirait différemment. Il faudrait s'attaquer aux causes socioéconomiques, les aider à trouver des logements abordables et un emploi», explique l'auteur de l'essai à paraître Lost in Transplantation: Muslim Marriage in Western Courts.

 

En mars, le Conseil d'État, la plus haute juridiction administrative française, a prévenu que la loi risquait d'être renversée devant les tribunaux. Sans prendre position sur la pertinence du projet de loi, Rachida Azdouz soutient que l'argumentaire juridique est faible. «Le projet de loi se fonde sur la dignité humaine et sur l'égalité des sexes. Dans le premier cas, l'argument est maladroit. Dans le deuxième, il est intéressant mais fragile», explique la professeure de l'Université de Montréal, spécialiste des relations interculturelles. Pour être recevable, la loi aurait, selon elle, dû se fonder sur le maintien de l'ordre public, en parlant du danger de permettre à des individus de rester voilés ou masqués dans certains endroits.

«Chape de plomb»

L'intellectuelle Djemila Benhabib, auteure de Ma vie à contre-Coran, salue le projet de loi. «Il faut se rappeler que le voile n'est pas un vêtement culturel ou traditionnel. C'est une idéologie politique imposée aux femmes. C'est une chape de plomb qui empêche l'intégration des femmes. Il faut la faire éclater», soutient-elle.

Elle ne croit pas que la loi française marginaliserait davantage les femmes concernées. «Je ne reste pas dans ma tour d'ivoire, j'ai été dans les banlieues de Paris, j'ai vu ces femmes. Et elles subissent la pression de leur milieu pour porter le voile. L'État doit les aider à s'en affranchir.»

Mme Benhabib se réjouit que le projet de loi s'étende à l'ensemble de l'espace public (parcs, centres commerciaux, etc.). «Si c'est un objet d'asservissement, il faut envoyer le message qu'il est inacceptable, peu importe le lieu. La liberté n'est pas divisible.»