Selon la loi québécoise sur les aliments, du 15 février au 31 mai, les cabanes à sucre doivent servir du sirop d'érable. Du vrai. Pas question de mettre un peu de sirop de maïs ou de poteau dans la bouteille qui se trouve sur la table. Pas question non plus de faire la tire avec du sucrose parfumé à l'érable. Certains propriétaires de cabanes le font tout de même. Québec les a à l'oeil.

Cette arnaque ne date pas d'hier. La Fédération des acériculteurs et l'Association des propriétaires de cabanes sont très au courant du phénomène, mais personne ne peut le chiffrer et encore moins le contenir.

«On ne peut pas dire s'il y en a plus ou moins parce qu'il faudrait aller dans toutes les cabanes à sucre du Québec pour faire des tests sur tout le sirop; c'est impensable», note Simon Trépanier, directeur adjoint de la Fédération des producteurs acéricoles du Québec, qui est peu concernée par la fraude: de ses 7400 membres, seuls 500, environ, offrent le repas à la cabane. «Les consommateurs qui vont à la cabane à sucre pensent que le sirop est fait sur place», dit-il. Or, ce n'est pas toujours le cas.

Selon l'Association des cabanes à sucre du Québec, environ la moitié des sucreries appartiennent à des acériculteurs. Les autres achètent le sirop. Ce sont des restaurateurs avant tout.

«Comment voulez-vous qu'on vérifie ce qu'ils servent? Nous ne faisons pas nos propres inspections, c'est le rôle du MAPAQ (ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation)», dit Hermine Ouimet, présidente de l'Association des restaurateurs de cabanes à sucre du Québec.

Son association regroupe environ 75 des 425 cabanes à sucre du Québec. Ses membres se font régulièrement rappeler qu'ils doivent servir de véritables produits de l'érable durant le temps des sucres. Ceux qui ne le font pas peuvent se faire pincer par les inspecteurs provinciaux.

«Certaines font des affaires au noir, déplore Mme Ouimet, justement parce qu'elles ne veulent pas recevoir la visite des inspecteurs.»

Les cabanes à sucre étant des établissements de restauration, elles reçoivent la visite des inspecteurs du MAPAQ. On y évalue les pratiques de salubrité et de manipulation des aliments, essentiellement. Les inspecteurs ne prélèvent pas d'échantillons des produits de l'érable s'il n'y a pas de doute sur les pratiques de l'endroit.

Ce sont souvent des clients qui portent plainte à la division de l'inspection du Ministère parce qu'ils trouvent que le sirop de la cabane ne goûtait pas vraiment l'érable ou avait une couleur ou une texture douteuses. Le ministère de l'Agriculture a travaillé avec la Fédération des acériculteurs afin de former certains de ses inspecteurs pour qu'ils deviennent experts de l'érable et puissent déceler la fraude par des tests de goût.

«C'est très malheureux de voir que certains trichent parce que c'est mauvais pour l'image des cabanes au Québec, déplore Hermine Ouimet. Les gens vont à la cabane une fois par année, ça fait partie de notre folklore. Il faut bien les recevoir.»

Chaque année, quelques propriétaires figurent dans la liste des établissements condamnés par le Centre québécois d'inspection des aliments. Selon Chantal Fontaine, conseillère à l'inspection des aliments au MAPAQ, le phénomène est stable. «Des fraudeurs, il y en a toujours eu et il y en aura toujours, dit-elle. Par contre, l'utilisation de la feuille d'érable sur l'étiquette d'aliments qui ne contiennent que des succédanés de l'érable est en hausse.»

Environ 20% des analyses faites au laboratoire de chimie du MAPAQ ont pour but de déceler des fraudes alimentaires. Cela comprend autant les saucisses de bison susceptibles d'être faites de boeuf et l'huile d'olive diluée que le faux sirop d'érable.

Mauvaise couleur

La plupart des producteurs acéricoles du Québec produisent leur sirop en vrac. Environ 85% de la production est ainsi vendue à des entreprises qui l'embouteillent ou le transforment.

La récolte 2009 s'est retrouvée dans 213 000 barils dont le contenu a été analysé. On vérifie la couleur du sirop, son taux de sucre et ses qualités organoleptiques. Seulement 458 barils ont été rejetés parce que le sirop qu'ils contenaient n'était pas conforme, se félicite Simon Trépanier.

Ce qui ne veut pas dire que tout le sirop d'érable qui se trouve sur les tablettes des épiceries est parfait. S'il vient directement d'une entreprise acéricole, il n'a pas transité par la Fédération. C'est aussi le cas de toutes les conserves achetées directement du producteur. En 2007, la Fédération avait testé 600 contenants de sirop achetés dans des commerces pour découvrir que près de la moitié d'entre eux avaient un défaut de qualité majeur, dont près de 3% qui étaient franchement mauvais. Les autres avaient des problèmes de couleur, de goût ou de composition.

Tout comme pour celui servi à la cabane, les consommateurs qui ont des doutes sur le sirop qu'ils achètent peuvent communiquer avec le MAPAQ, rappelle Simon Trépanier. Comment savoir si un sirop contient un pourcentage de sucre trop élevé? Facile, répond cet expert. S'il y a trop de sucre, de gros cristaux se formeront dans le sirop. S'il n'y en a pas assez, il va moisir.

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Liste des contrevenants

Les noms de tous les propriétaires de cabane à sucre qui ont été condamnés pour avoir servi des succédanés dans leur établissement sont accessibles sur le site du MAPAQ. Nous ne les publions pas parce que certains propriétaires nous ont affirmé avoir vendu en toute confiance des produits d'un collègue et que ce sont ces produits qui n'étaient pas conformes. Nous n'avons pas de raison de douter de leur bonne foi, mais le MAPAQ soutient que, comme les propriétaires de cabane sont responsables de ce qui se vend chez eux, c'est donc leur nom qui figure dans le registre des condamnations. La première infraction est punissable d'une amende de 250$.

En chiffres

> Le Québec compte 7400 acériculteurs professionnels et 425 cabanes à sucre.

> L'année dernière, le Québec a produit 109 millions de livres de sirop d'érable, les trois-quarts de tout le sirop produit sur la planète.

> Les États-Unis ont produit 26 millions de livres et le reste du Canada, 11 millions.

Prix à la baisse

Bonne nouvelle: les érables ont commencé à couler dans toutes les régions du Québec. Meilleure nouvelle: le prix du sirop est en baisse. Parfois jusqu'à 6$ pour une conserve, puisque 2009 a été une saison record. Il était temps: les saisons précédentes avaient été plutôt mauvaises, ce qui avait porté le prix de la boîte de sirop à des sommets inégalés.