L'idée semblait avoir déjà fait son temps. Trop coûteux à implanter. Trop long. Le péage urbain ne semblait plus faire partie des plans de Montréal quand, coup sur coup, le maire Gérald Tremblay et le président de la STM, Michel Labrecque, ont publiquement soulevé la possibilité d'y recourir, au début de décembre.

En répétant que le développement des transports collectifs nécessite une nouvelle source de revenus «dédiée, indexée et récurrente», M. Labrecque a, de plus, annoncé la tenue d'une «journée d'étude» en février. L'objectif est de discuter des options qui s'offrent pour financer plusieurs grands projets de transport dont la valeur totaliserait 20 milliards, à l'échelle de la région métropolitaine, selon le maire Tremblay.

Après Londres, Stockholm, Oslo, Dublin et Sydney, en Australie, pourquoi Montréal ne s'ajouterait-elle pas à la liste des grandes villes qui imposent un prix à l'utilisation des routes et à la congestion chronique qui paralyse tous les grands centres urbains de la planète?

Mandatée pour organiser cette journée d'étude, Florence Junca-Adenot, ex-présidente de l'Agence métropolitaine de transport et professeure associée au département d'études touristiques et urbaines à l'UQAM, affirme que les péages ne sont pas la seule solution pour financer les transports en commun et que les conditions essentielles à leur implantation sont loin d'être réunies.

«En matière de transports, ajoute-t-elle, Montréal a besoin de ses voisines de la banlieue. Elle a besoin que des gens continuent de venir à Montréal, pour y consommer, s'y récréer, y travailler. En même temps, elle a aussi besoin qu'on y vienne autrement qu'en automobile.»

«Si on se donnait cela comme objectif, quel est le meilleur moyen pour y parvenir? Il faut offrir plus de services de transports en commun, il faut financer ces services, et il faut travailler avec les autres villes de la région.»

Selon elle, un débat sur l'implantation des péages devra d'abord s'inscrire dans une vision d'ensemble du développement des transports qui n'existe pas, à l'heure actuelle, dans la région métropolitaine.

Payer le juste prix

Dans son numéro de fin d'année, le magazine Scientific American a élevé le «péage routier intelligent» au rang des «10 idées qui peuvent changer le monde», aux côtés de technologies pour produire du gaz à partir des déchets, de l'électricité à partir de la biomasse, des tests peu coûteux pour diagnostiquer les maladies génétiques et des systèmes mobiles pour la filtration de l'eau.

L'émergence des systèmes de positionnement (GPS) et des technologies de télécommunications sans fil permet, aujourd'hui, d'envisager l'implantation de dispositifs de péage où chaque automobiliste pourrait être facturé en fonction de son utilisation personnelle du réseau routier.

Un coût pourrait ainsi être facturé en fonction du kilométrage parcouru, de l'heure à laquelle il circule, de la route utilisée ou de l'état de congestion de celle-ci, au moment de son passage. Les prix pourraient même être modulés pour que le coût d'un itinéraire donné corresponde à l'impact de chacun sur la congestion, ou au coût environnemental de sa conduite.

Un projet-pilote mené l'an dernier dans la ville d'Eindhoven, en Hollande, a démontré qu'un tel dispositif était fonctionnel, et que 70% des usagers qui l'ont testé ont modifié leurs habitudes de déplacement grâce à cette tarification au kilomètre. L'implantation d'un système similaire à l'échelle de tout le pays est envisagée d'ici 2016.

De tels dispositifs ne seraient-ils pas utiles pour réduire la congestion de la métropole et convaincre un plus grand nombre d'automobilistes d'opter pour les transports collectifs?

Des intentions à éclaircir

Selon Justin Leroux, professeur agrégé à l'Institut d'économie appliquée des Hautes Études commerciales (HEC), «le mot-clé dans l'article du Scientific American n'est pas "péage", mais "intelligent". Les technologies nous ouvrent des perspectives excitantes et les mentalités ont progressé par rapport à l'idée d'un péage routier».

«Mais avant de parler de technologies, il faut savoir ce qu'on veut faire et quel but on cherche à atteindre avec le péage, poursuit-il. L'intelligence, elle est là. Est-ce qu'on veut diminuer la congestion routière? Est-ce qu'on veut financer les routes? Les transports en commun? On doit être clair sur ce qu'on veut faire payer et combien. L'acceptabilité d'un projet de péage commence par là.»

M. Leroux déplore la perception entourant les projets de péage de la Ville de Montréal, qui semble avoir priorisé ses besoins de financement au détriment d'une logique de redistribution des coûts du transport, qui caractérise les projets réussis en la matière.

En rendant public son Plan de transport, en juin 2008, la Ville de Montréal invitait l'ensemble de la région métropolitaine à une grande consultation publique sur la question du péage, perçu comme un mécanisme privilégié pour financer la mise en oeuvre de cet ambitieux programme. La consultation n'a jamais eu lieu.

Six mois plus tard, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, révélait que son administration discutait avec les autres municipalités de la région pour établir un «péage métropolitain», englobant Montréal et des villes de la banlieue, qui aurait rapporté entre 350 et 400 millions  par année. Aucun projet n'a été rendu public.

«Ce serait correct d'utiliser les revenus d'une taxe aux automobilistes pour financer des projets de transports en commun, soutient-il. Par contre, ce qui n'est pas justifié, c'est d'établir le coût du péage en fonction du financement qu'on veut récolter.»

Effets pervers

«Le péage est là pour qu'un automobiliste prenne conscience du coût réel de son utilisation de la route, de la congestion qu'il impose aux autres. C'est cela et uniquement cela qui devrait déterminer le montant qu'il doit payer», affirme M. Leroux.

Avant d'en venir là, Florence Junca-Adenot estime que la métropole devra d'abord et avant tout proposer «un programme de développement des transports en commun qui tienne debout», et qui offrira aux automobilistes une solution de rechange efficace et viable pour assurer leurs déplacements quotidiens.

«On ne peut pas imposer un tel changement à coups de marteau, ajoute-t-elle. L'acceptation du projet est une condition essentielle à sa réussite. Londres a eu l'intelligence d'investir des milliards de dollars dans ses transports collectifs, avant d'imposer un péage de congestion au centre de la ville.»

La fondatrice du Forum Urba 2015 estime, pour sa part, que l'implantation d'un péage urbain à Montréal aurait des effets pervers sur la vie de la métropole, en favorisant le déplacement de la consommation vers la banlieue et l'exode des entreprises vers la périphérie, hors des périmètres du péage.

Un ensemble de mesures de taxation et de tarification touchant l'essence, le stationnement et l'immatriculation des véhicules pourrait, selon elle, générer assez de revenus pour financer le développement des transports en commun, et ce, sans avoir à gérer les effets inéquitables d'un péage.