Sa chevelure de jais couvrant son joli visage, Hafsa Shams fouille fébrilement à deux mains dans l'énorme sac-cadeau posé devant elle. Elle en sort une poussette de bois pour sa poupée. Ses yeux brillants trahissent son bonheur.

Assis sur une minuscule chaise à côté d'elle, Xavier Lazure rayonne. «C'est trop cute», lance le jeune homme, une pointe de fierté dans la voix. Cette poussette en bois, c'est lui qui l'a faite de ses mains. Il a même cousu le siège en tissu.

Je suis content, je me sens bien. C'est un très beau Noël», confie Xavier.

Pendant tout l'automne, comme la cinquantaine d'élèves qui fréquentent l'école secondaire Eurêka, il a scié, sablé, assemblé et peint des morceaux de bois pour fabriquer des jouets qui ont été remis cette semaine aux enfants de maternelle de l'école Gilles-Vigneault, dans Ahuntsic.

L'école Eurêka est méconnue. Elle accueille des élèves dont la moyenne d'âge est 17 ans et qui terminent leur 2e ou 3e secondaire. Ils proviennent de diverses écoles de la Commission scolaire de Montréal.

De jeunes élèves qui ont quitté l'école avant d'y revenir. D'autres qui s'absentaient de leurs cours plus souvent qu'à leur tour. D'autres qui accumulaient les échecs.

Beaucoup de ces élèves vivent des situations familiales difficiles, de la négligence, de l'abandon, de la violence. Ils ont souvent été victimes de rejet ou d'intimidation par leurs pairs.

Cette petite école se présente comme une solution de rechange aux grandes écoles secondaires, explique Pascale Boudry, responsable de l'établissement et enseignante de français.

Pour réussir à l'école, on doit être libre dans sa tête, déclare Mme Boudry. Les élèves qui sont ici ne veulent pas nécessairement décrocher, mais ils ne fonctionnent pas dans le système.»

Retrouver la confiance en soi

L'école Eurêka devient une bouée. Un havre où les élèves reprennent confiance en eux et forment une petite famille. Ils reprennent goût à l'école. Ils se découvrent de nouveaux talents. Ils acquièrent les outils nécessaires pour continuer, vers l'école aux adultes ou la formation professionnelle.

Ils suivent des cours de français, de mathématiques et d'anglais trois jours par semaine. Les deux autres jours, ils sont en stage dans un milieu de travail. Et ils multiplient les projets.

La fabrication des jouets de Noël est l'un d'eux. Les enseignantes de l'école ont déniché une subvention auprès de la caisse Desjardins du quartier pour acheter du matériel. Une ébéniste a été embauchée pour aider les élèves. L'enseignante responsable du projet, Ginette Lauzon, a rapatrié la machine à coudre familiale et transformé la salle de classe en véritable atelier.

Les élèves ont appliqué les notions de mathématiques apprises pour fabriquer leurs jouets. Ils ont travaillé leur français en écrivant aussi un conte destiné à l'enfant de maternelle avec qui ils étaient jumelés.

Justement, Victor Castillo termine la lecture à haute voix de son conte, sous les applaudissements chaleureux des petits. Il est ému et soulagé. À côté de lui, «son» jeune s'amuse ferme avec le joli train de multiples couleurs qu'il a fabriqué.

Lorsque La Presse l'a rencontré au début du mois, le jeune homme de 18 ans travaillait sur son projet en s'inquiétant un peu.

Quand on est petit, on a un mental sélectif. J'ai peur que mon enfant voit les autres jouets et dise qu'il voulait un avion à la place du train... Mais j'espère qu'il va aimer», avait-il confié.

Victor a atterri par accident à l'école Eurêka après avoir échoué en deuxième secondaire. Depuis, il travaille fort et s'applique avec sérieux. Il fait son stage comme assistant auprès d'un enseignant d'éducation physique. Il a eu la piqûre et souhaite devenir enseignant à son tour. Il se dit prêt à prendre son envol pour la suite de ses études.

Ici, les professeurs sont gentils, ouverts d'esprit. Ils nous parlent comme si on était leurs enfants, ils nous prennent sous leurs ailes. Ils nous prennent comme un petit bébé et nous apprennent à marcher. C'est ce dont j'avais besoin», affirme-t-il.

Chaque élève a son histoire. Mais tous racontent à quel point leur passage à Eurêka leur fait du bien. Comme Marie-Ève Therrien, 17 ans, une jeune femme qui a besoin de bouger. Les nombreux projets et les stages qu'elle réalise dans le cadre de ses cours la comblent. «En fabriquant un jouet, je fais un projet concret, mais qui me donne aussi des notes pour mes matières puisque je les utilise», explique-t-elle.

En voyant les yeux brillants des enfants de maternelle, les élèves sont remplis de fierté. Ils se sentent valorisés.