Le rôle de directeur est souvent négligé, dévalorisé, mais essentiel dans une école. Dans le cadre de la première édition de la Semaine des directions d'établissements d'enseignement, nous avons passé une journée avec Jean-François Bouchard,directeur de l'école secondaire Henri-Bourassa, un établissement de 2100 élèves au coeur de Montréal-Nord.

8h10

L'agora de l'école commence à résonner des conversations de centaines d'élèves qui envahissent les lieux, encore plus ou moins réveillés.

Une tasse de café à la main, une galette d'avoine dans l'autre, Jean-François Bouchard circule parmi les groupes. Il prend des nouvelles d'un élève, se joint à un groupe de jeunes qui regarde une partie de baby-foot, fait signe à un autre élève d'enlever sa casquette dans l'école.

«J'essaie de connaître mes élèves. [...] Je m'investis personnellement. J'ai besoin de ce contact», explique M. Bouchard, tout en parcourant le corridor jusqu'à son bureau.

Voilà 10 ans qu'il est dans l'école. Cinq ans d'abord comme adjoint, puis cinq ans comme directeur. Son leitmotiv: élèves et enseignants doivent avoir du plaisir à l'école.

8h20

«Pis?» Tous les matins, vers la même heure, M. Bouchard questionne sa secrétaire. Un petit mot lourd de sens. Combien d'enseignants sont malades, en formation ou tout simplement absents aujourd'hui?

S'il y en a plusieurs, l'équipe de direction est sur ses gardes. «Si mes enseignants de deuxième secondaire sont en formation, par exemple, je sais que ça risque d'être rock 'n' roll dans les classes.»

Les adjoints se promènent alors discrètement sur l'étage, pendant les cours, pour s'assurer que les suppléants maîtrisent la situation.

Quand l'absence est prolongée, ça se complique. Un enseignant de mathématiques de cinquième secondaire est justement en convalescence pour quelques semaines.

La direction doit le remplacer, et vite. En cinquième secondaire, il n'y a que le premier bulletin qui est pris en compte pour l'admission au cégep. Les élèves sont inquiets.

De retour à son bureau, M. Bouchard jette un oeil sur la pile qui l'attend. «J'haïs les chemises rouges», dit-il à la blague. Les chemises rouges contiennent tout ce qui n'est pas encore fait: dossiers à régler, documents à signer, lettres à réviser.

Sur l'écran de son ordinateur, les nouveaux courriels s'accumulent. Il les parcourt rapidement pour répondre aux plus urgents.

Il essaie de tout régler au fur et à mesure. Il se pointe d'ailleurs au boulot vers 7 h le matin, profitant ainsi d'une heure de travail dans le calme avant l'arrivée du personnel et des élèves.

9h00

M. Bouchard va faire un tour sur les étages. «J'incite mon équipe de direction à 'marcher' leur école», lance-t-il. Pour lui, c'est une façon de régler des problèmes de façon informelle, de faire passer des messages et de montrer qu'il est présent.

Il croise une élève qui arrive en retard. «Je devais régler des papiers avec ma mère», dit-elle. Dans l'après-midi, un appel téléphonique lui apprendra en fait que cette famille a des problèmes avec l'immigration.

Un autre élève attend, tête baissée, dans le corridor. Un jeune sur la pente descendante que l'école essaie d'encadrer. «Je t'ai à l'oeil», lui dit-il gentiment.

Il revient à son bureau et retourne quelques appels prioritaires, vérifie encore ses courriels. Tout est réglé au quart de tour. En moins d'une minute, il règle un dossier et passe au suivant.

10h05

L'un de ses adjoints l'intercepte. Il vient d'avoir une longue rencontre avec la mère d'un élève et veut l'informer de la situation «Mes adjoints, ce sont mes pare-feux», lance M. Bouchard.

À la source du problème, une différence culturelle qui a choqué la mère, immigrante, et qui menaçait de prendre une ampleur démesurée. L'adjoint a calmé le jeu.

Deux policiers communautaires passent la tête dans l'embrasure de la porte. «Vous m'avez fait peur», lance M. Bouchard. C'est une visite de courtoisie. La situation est calme aujourd'hui.

M. Bouchard jette un oeil sur son agenda. Entre les réunions et les rendez-vous, l'horaire est plein. Il faut «compartimenter» les dossiers à régler, explique-t-il.

Le visage de cette école défavorisée a bien changé au fil des ans. Pour chaque dollar investi en sport, la direction investit un dollar en culture. Les projets foisonnent. Les enseignants, dynamiques, sont souvent sollicités pour participer à des projets pilotes.

«Je suis la résultante du travail qui se fait dans l'école. Je fais juste permettre que ça se produise. Ce sont eux qui font le travail», dit M. Bouchard. Il reconnaît toutefois que les demandes du ministère de l'Éducation sont nombreuses et parfois difficiles à suivre: nouveau bulletin, réforme, conventions de gestion, projets divers.

«Ça peut être effrayant de voir tout ce qui arrive d'en haut et comment il faut le déployer dans nos écoles.»

Vers 11h00

La cloche sonne la période du midi. M. Bouchard se promène à la cafétéria. Les jeunes font la file. Plus de 600 bénéficient d'une mesure alimentaire. «Pour certains, c'est le seul repas de la journée», lance M. Bouchard en saluant quelques-uns d'entre eux.

Il va faire un tour vers les casiers. Quelques élèves se bousculent en riant, mais ça n'ira pas plus loin. Six agents de sécurité veillent. «On est quand même vigilant. Quand il y a un mouvement de masse, c'est souvent ici que ça commence. Les élèves se mettent à cogner dans les casiers.»

M. Bouchard se dirige vers le local des enseignants. Un comité a été mis sur pied avec l'école Jules-Vernes, à côté, afin de faciliter le passage des élèves du primaire vers le secondaire.

Il offre un lunch aux enseignants travaillant sur le comité afin de les remercier. L'ambiance est bon enfant. À un bout de la table, il se joint à quelques enseignants qui discutent du pool de hockey, dont il fait aussi partie.

13h00

Il revient à grandes enjambées vers son bureau. Il doit rencontrer une candidate pour le poste de suppléance qu'il doit pourvoir pour le cours de mathématiques. Elle l'attend déjà.

L'entrevue dure une quinzaine de minutes. Il doit rencontrer encore d'autres candidats.

Sitôt qu'il rouvre la porte de son bureau, M. Bouchard est sollicité par ses adjoints, des enseignants et du personnel de l'école. Chacun défile pour régler une question, soumettre un projet, obtenir une approbation. Le téléphone sonne. C'est une mère mécontente parce que sa fille n'est plus suivie depuis que la psychologue a quitté l'école.

Le directeur tend l'oreille, apaise les craintes, mais reste démuni. «Que puis-je faire? C'est dur de trouver des psychologues qui veulent travailler dans le milieu de l'éducation», soupire-t-il.

Difficile, le travail de directeur? Très enrichissant, répond plutôt M. Bouchard. «Mais c'est vrai que plusieurs me disent carrément qu'ils ne feraient jamais ma job.» Il fait une pause. «Je trouve important le rôle qu'on occupe et souvent, on n'est pas valorisé à notre juste valeur. On est aussi des acteurs importants du développement pédagogique dans les écoles. Je pense que j'ai aussi un rôle à jouer dans le succès des élèves.»

Pour y arriver, l'apport de son équipe de direction, composée de six adjoints, est primordial. «Sans eux, ça ne fonctionnerait pas», dit-il.

Son visage prend un aspect songeur. La relève est difficile à trouver. Des adjoints expérimentés et formés comme ceux de l'école Henri-Bourassa risquent à tout moment d'être recrutés pour devenir directeurs. «J'en ai trois qui sont 'ministrables'. Je sais que rapidement, je vais devoir les remplacer», s'inquiète M. Bouchard.

14h30

Il se lève d'un bond et sort dans le corridor. Il doit parler à une enseignante. Il préfère de loin le contact humain aux courriels.

Il reconnaît être un peu hyperactif. «Je ne représente pas tous les directeurs d'école, mais je suis le reflet du travail qu'on a à faire.»

Tout en marchant, il est attentif à ceux qui traînent hors des salles de classe. Un directeur doit avoir un pifomètre, croit-il. «C'est comme du pop-corn une école en milieu défavorisé. Tu ne sais jamais ce qui va se passer.»

Vers 15h20, quand la cloche sonne, il va à l'extérieur. Ses adjoints sont là, de même que des agents de sécurité. Une présence adulte calme les esprits, croit M. Bouchard.

Lorsque la majorité des élèves a quitté le terrain de l'école, il retourne à son bureau. S'il n'a pas de réunion à l'horaire, il règle quelques dossiers avant de quitter, vers 18h.

***

Valoriser une profession méconnue

Les directions d'école s'inquiètent. La relève est de plus en plus difficile à trouver et la profession est dévalorisée. Les conditions de travail n'y sont pas étrangères.

Le directeur doit être à la fois un leader pédagogique pour son école et un bon gestionnaire. Ses tâches sont complexes et ses heures de travail, souvent très longues.

La première Semaine des directions d'établissements d'enseignement vise à revaloriser la profession. Elle est organisée conjointement par l'Association montréalaise des directions d'établissements scolaires (AMDES) et l'Association québécoise du personnel de direction des écoles (AQPDE).

Elle survient au moment où les directions d'école négocient avec Québec en vue du renouvellement de leur convention de travail.

Le salaire, particulièrement le maintien salarial en cas de baisse des effectifs, figure au coeur des enjeux.

Le mince écart salarial entre un enseignant et un directeur adjoint, qui seraient tous deux au sommet de l'échelle, n'encourage pas les futurs candidats à se présenter. C'est un problème.

«Non seulement il n'y a pas un grand écart, mais ce qui nous inquiète, c'est que l'écart se réduit de plus en plus. (..) Entre 2001 et 2009, il y a eu une diminution de 50 % de l'écart », explique le président de l'AMDES, Gaétan Nault.

Résultat, la relève n'est pas au rendez-vous. Les commissions scolaires ont pour la plupart épuisé la liste des candidats qui ont réussi les concours. Certaines doivent rappeler des directeurs à la retraite.

La priorité est de revaloriser la profession pour attirer une relève, croit la présidente de l'AQPDE, Danielle Boucher. « Pour attirer plus de candidatures, la première chose à faire avant de revendiquer est surtout de faire connaître. »